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position en faveur des forts au détriment des faibles. Tout Gouvernement à des époques indéterminées de sa vie se trouve dans la même position.

La Révolution n’aura accompli son œuvre, que lorsque tout Gouvernement, c’est-à-dire l’organisme autoritaire sous lequel il faut se courber, que ce soit au nom d’une majorité ou d’une minorité, deviendra une inutilité sociale, et le rôle du révolutionnaire ne peut donc pas être de soutenir un gouvernement mais de chercher à en amoindrir les effets nocifs.

Il est impossible de concevoir que dans une société qui se divise en classes et où la richesse existe à côté de la misère, un État ou un Gouvernement puisse se réclamer de la Révolution. Que les intentions des hommes qui sont à la tête de cet État soient louables, ce n’est pas ce qui importe ; ce qu’il faut regarder c’est si les actes de ces gouvernants ne s’opposent pas à la marche en avant de la Révolution.

Lorsqu’en 1923, l’Allemagne traversait une terrible crise économique et que le prolétariat était presque acculé à la famine, on demanda à un socialiste français ce qu’il ferait s’il avait la direction de l’État allemand, et il répondit par le vieux précepte latin « Primum vivere, deinde philosophari ». Le prolétariat, classe opprimée dans tous les pays, parce qu’il n’y a pas encore de pays d’où l’exploitation de l’homme par l’homme ait disparu, n’a pas d’autres possibilités pour vivre que d’exproprier les richesses sociales détenues en partie ou en totalité par le capitalisme et il n’appartient à personne de déterminer ou d’arrêter l’heure de la révolte.

Le peuple est révolutionnaire, non seulement par instinct, mais aussi parce qu’il souffre et qu’il arrive fatalement un moment où, las de servir de machine à exploiter, il se dresse contre ses maîtres et arrache violemment ce que ceux-ci ne veulent pas donner de bon gré, et en ces jours de révolte féconde tout ce qui ne se trouve pas du côté de l’affamé se place du côté de l’oppresseur.

Qu’importe la couleur, le titre, l’étiquette dont on se pare ; on est pour ou contre la révolte ; on est révolutionnaire ou contre-révolutionnaire. Il n’y a pas de milieu, en période révolutionnaire ; on ne peut pas vouloir un peu, il faut vouloir beaucoup ; la Révolution ne peut se mesurer à l’aune, comme une pièce de drap. Pour sortir victorieuse de la bataille il faut qu’elle efface à jamais toutes les erreurs du passé, sans quoi il faut la poursuivre et la continuer sur le terrain économique et non sur le terrain inculte de la politique.

La Contre-Révolution ? Ce sont tous ceux qui veulent arracher le flambeau des mains du peuple afin de conduire la classe ouvrière, comme un troupeau de moutons, vers des destinées inconnues ; ce sont tous les démagogues qui cherchent à se tailler des lauriers dans le sang des sacrifiés ; mais ce sont aussi tous les pacifistes bêlants, les sentimentaux et les humanitaires à fleur de peau ; les philosophes pour classe pauvre qui critiquent la violence et prêchent la passivité, et qui ne veulent pas comprendre que la violence organisée est la seule arme que possède le pauvre pour se défendre contre l’insolence et la violence des riches.

Quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, la Révolution est en marche et la Contre-Révolution sera écrasée. Certes, cela coûtera encore bien des larmes et bien du sang ; ce ne sont cependant pas les révolutionnaires qui peuvent en être rendus responsables ; ce sont ceux, au contraire, qui ne veulent rien faire pour que le monde change et qui rendent la tâche plus ardue.

« Quand on s’empiffre, alors qu’il y en a qui crèvent de faim ; lorsqu’on va bien vêtu, quand il y en a qui sont couverts de loques ; lorsqu’on a du superflu, quand il y en a qui, toute leur vie, ont manqué de tout,

on est responsable des iniquités sociales puisqu’on en profite. » (Jean Grave : l’Anarchie, son but, ses moyens, p. 158.)

Marchons de l’avant. Nous avons raison puisque nous voulons le bonheur de l’Humanité et que tout ce qui nous entoure nous engage à joindre nos efforts pour prendre possession de ce qui nous appartient. La Contre-Révolution sera vaincue un jour, cela ne peut pas être autrement, et si nous ne profitons pas nous-mêmes des bienfaits de la Révolution, sachons au moins lutter en pensant que nous revivrons dans nos enfants et laissons leur un héritage plus grand que celui qui nous fut légué par nos ancêtres.

La semaille est jetée, les petits, les nôtres feront la récolte. ― J. Chazoff.


CONTRÔLE OUVRIER (LE). n. m. Le contrôle ouvrier (ou plus exactement contrôle syndical de la production), est une action permanente menée par la classe ouvrière, sur le lieu même du travail, pour permettre à celle-ci de se rendre compte, aussi exactement que possible, du fonctionnement intérieur et détaillé des entreprises industrielles et commerciales ou des Exploitations de l’État, pour en tirer le meilleur profit en faveur de l’action multiple du prolétariat.

Par le Contrôle exercé par ses divers organismes, la classe ouvrière peut pénétrer les secrets des fabrications, connaître les moyens d’approvisionnement en matières premières, le coût de ces matières, le prix de revient, l’évaluation des frais généraux, le prix de vente, les bénéfices approximatifs, les formes de l’écoulement du produit fini, la valeur du salaire qui peut être revendiqué, etc…

Les organes du Contrôle sont les sentinelles avancées du prolétariat dans la forteresse capitaliste. Leur puissance doit s’intensifier chaque jour et la poussée qu’ils exercent doit être telle que les œuvres de défense bourgeoise soient attaquées sans cesse plus fortement, plus intelligemment, plus objectivement, afin d’accentuer le recul des forces du capital et l’avance tenace, méthodique et permanente des forces ouvrières.

Ces divers organismes d’action, de pénétration, sont en fait, les embryons des sociétés anonymes ouvrières gérées par les Syndicats, qui remplaceront les Sociétés anonymes capitalistes, gérées par les Conseils d’administration actuels.

L’idée du Contrôle ouvrier de la production est déjà ancienne. Elle prit naissance en Allemagne. On en trouve trace dans une proposition que Bebel fit en 1877, au Reichstag, pour demander la création des Chambres industrielles, dont le rôle eût consisté à garantir les intérêts de l’industriel et du travailleur, à transmettre aux autorités des compte rendus et des propositions. Ces organismes, sans contact direct avec les usines, devaient être formés en parties égales de patrons et d’ouvriers. C’était déjà l’idée qui fut reprise un peu partout, pendant la guerre de 1914–1918, par les démocrates de tous les pays. C’est celle que tendent à réaliser les patrons démocrates avec le concours des Syndicats réformistes par la collaboration de classe constante dans tous les domaines.

Ce projet fut complété en 1885-86 par Auer qui lui conserva son caractère paritaire. Il se borna à adjoindre aux Chambres du Travail (Arbeitskammeren) qu’il voulait voir fonctionner dans chaque localité importante des Bureaux du travail (Arbeitsämter) dans les districts de 200 à 400.000 habitants et, à la tête de cette hiérarchie sociale, un Bureau d’Empire du Travail (Reichsarbeitsamt).

La Commission plénière du Reichstag repoussa le projet qui ne fut même pas discuté par l’Assemblée. On voit que par sa constitution, il ressemblait déjà