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teurs de contre-révolution. Être révolutionnaire, ce n’est pas seulement détruire, c’est surtout construire. La société bourgeoise peut être comparée à la chandelle de nos ancêtres, il faut la remplacer par un flambeau. On ne comprendrait pas l’individu démolissant un bec de gaz parce qu’il éclairait mal, et qui, n’ayant rien à mettre à la place, serait plongé dans l’obscurité.

On a trop spéculé sur la force physique, musculaire, numérique du peuple, dans les révolutions passées. On a laissé croire aux masses d’ouvriers qu’ils étaient la force parce qu’ils étaient la majorité. Cela était peut-être vrai à l’époque où les progrès de la science n’étaient pas arrivés au point culminant qu’ils atteignent de nos jours ; mais actuellement, ce qui fait la puissance du capitalisme, c’est son intelligence, ses connaissances, ses techniciens, et ce qui fait la faiblesse du prolétariat c’est son ignorance. Cette ignorance est, elle aussi, un facteur de contre-révolution aussi dangereuse que le capitalisme lui-même.

Il peut sembler paradoxal que des révoltés puissent être des contre-révolutionnaires et il en est pourtant ainsi.

Il y a donc ce que l’on peut appeler la seconde catégorie de « contre-révolutionnaires », qui est composée de révoltés voulant détruire l’ordre social bourgeois, d’individus qui aspirent à la liberté et au bonheur pour tous, mais qui se trompent, de route et qui empruntent celle qui ne peut les conduire qu’à un nouvel esclavage et s’éloignent sensiblement du but poursuivi.

Ces « contre-révolutionnaires » ne sont pas guidés, nous le répétons une fois encore, par l’intérêt, mais par l’ignorance. Ils sont sincères dans leurs erreurs et pensent loyalement qu’ils travaillent pour le bien de l’Humanité, alors qu’en réalité ils retardent l’ère de la libération des peuples.

Ils sont des agents de contre-révolution, malgré leurs convictions révolutionnaires, et il est pénible et douloureux de constater toutes les énergies dépensées, tous les sacrifices consentis, sincèrement au nom de la Révolution en faveur de la Contre-Révolution. Et cela nous fait songer à l’ours du fabuliste, qui, pour tuer une mouche qui se promenait sur la figure de son maître, lui écrasa la tête avec un pavé.

Si un ours était susceptible de raisonner, d’éprouver un sentiment d’intelligence ou de logique, s’il n’était pas simplement conduit par l’instinct, nous dirions que c’est un noble sentiment qui détermina son geste brutal ; il eut été préférable pour le maître que l’ours n’éprouvât pas ce sentiment. C’est également un sentiment noble et sincère qui détermine ces « contre-révolutionnaires », révolutionnaires dans leurs actions, et ils sont convaincus de l’efficacité des moyens employés pour assurer le triomphe de la Révolution ; mais hélas, la sincérité n’a rien à voir avec la vérité et un homme sincère peut être dangereux lorsqu’il se trompe.

« Les gens qui font des révolutions à demi ne parviennent qu’à se creuser un tombeau. » Ce sont là les profondes paroles de Saint-Just qui il 26 ans, monta à l’échafaud, les pieds baignant dans le sang de Robespierre, le front haut et le regard plongé dans l’avenir.

Il mourut Victime de ses erreurs, et de celles de tous les conventionnels qui eurent confiance en une République établie sur l’Autorité et la Propriété, et avec quelle fougue, avec quel amour, avec quelle émotion vibrante, il la défendit, « sa République ! »

Et si aujourd’hui il pouvait apercevoir son œuvre, si avec Robespierre « l’Incorruptible » il pouvait contempler le régime d’arbitraire, de boue et de sang que nous subissons et qui prend sa source dans l’erreur républicaine et démocratique de 93, ne serait-il pas terrifié, lui qui croyait à la justice, à la vertu et à l’humanité ?

Si nous jetons un regard rétrospectif sur le passé, ce

n’est pas pour amoindrir les hommes qui ont illustré de façon admirable le grand livre de leur époque et qui ont joué un rôle considérable dans l’évolution des Sociétés. Mais lorsque, avec la quiétude que nous donne le recul de l’histoire, sans haine et sans passion, nous examinons le travail accompli par nos aînés avec le seul désir et l’unique souci de faire mieux lorsque notre tour viendra, il est opportun d’enregistrer les fautes commises hier pour ne pas les répéter demain.

Saint Just avait tort et Robespierre aussi. Ils ont réalisé des choses grandioses, ils n’ont pas su réaliser, la Révolution et pousser la Contre-Révolution dans ses retranchements et cela leur coûta la vie. Le « Père Duchesne » avait raison et en le faisant arrêter et condamner à mort, Robespierre franchissait le mur qui séparait la Révolution de la Contre-Révolution, il allait être lui-même sa propre victime.

Qui donc aujourd’hui contesterait la sincérité et le désintéressement des héroïques communards de 1871, qui, durant près de trois mois se défendirent courageusement contre les armées ― supérieures en nombre et en force ― des Versaillais ? Les chefs de ce beau mouvement agissaient-ils révolutionnairement en faisant garder les banques par des soldats et en refusant de s’emparer de cette richesse ― toujours mal acquise ― alors que le peuple affamé se mourait devant les coffres-forts de la bourgeoisie ? Ne sont-ils pas responsables dans une certaine mesure de la répression terrible de Thiers, qui se vengea de la terreur éprouvée par la bourgeoisie, en faisant massacrer des dizaines de milliers de révoltés ?

« Les gens qui font des révolutions à demi ne parviennent qu’à se creuser un tombeau. » Il faut méditer ces paroles et s’en inspirer à chaque moment dans la lutte que nous menons contre l’organisation féroce des Sociétés capitalistes ; et puisque nous avons les enseignements et les expériences du passé pour nous guider, puisque ceux qui nous ont précédés sont morts pour que nous sachions, apprenons à nous conduire pour ne pas commettre les erreurs qui furent les causes déterminantes de leurs échecs.

Une demi-révolution est une demi-victoire et une demi-défaite. Le monde ne sera régénéré que lorsque la victoire sera complète, et tous ceux qui s’arrêtent en route peuvent être considérés comme faisant inconsciemment le jeu de la Contre-Révolution.

Reclus nous a enseigné que le communisme ne s’instaurera qu’à la suite d’une série d’évolutions et de révolutions qui se répèteront inévitablement, jusqu’au jour où la Société transformée ne fond en comble ne conservera plus aucune trace de la barbarie des sociétés à bases capitalistes. Or, l’histoire nous apprend que jamais les mouvements de révolte ne furent provoqués par les dirigeants du peuple et que tout gouvernement, ayant la charge de veiller à ce que l’ordre soit maintenu à l’intérieur de la Nation, est par essence conservateur et par force contre-révolutionnaire.

Jules Lemaître, dans une de ses œuvres intitulée : « Les Rois », nous présente un monarque à tendances socialistes, qui veut le bien de son peuple, travaille à lui apporter le bonheur et qui est conduit par la force des événements à faire fusiller ses sujets sous les fenêtres mêmes de son palais.

Le Roi de Jules Lemaître n’avait pas saisi l’incompatibilité qui existe entre le principe de liberté d’où doit jaillir le bien-être universel et le principe d’Autorité, qui donne naissance à tous les abus, à tous les travers, à toutes les iniquités dont peut se rendre coupable une société. Le Roi de Jules Lemaître, malgré ses sentiments et son désir de bien faire, ne pouvait être un révolutionnaire, mais un contre-révolutionnaire, parce que, attaché de par ses fonctions à maintenir dans sa forme un état de chose arbitraire, il était condamné à prendre