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CONTRE-RÉVOLUTION. n. f. Pour donner un aperçu de ce que peut être la Contre-Révolution, il serait peut-être utile de définir auparavant ce que nous entendons par « Révolution ». Nous le ferons très brièvement, en quelques mots, en renvoyant le lecteur au mot « Révolution » pour tous enseignements complémentaires.

Le Lachâtre nous dit que la « Révolution » est « le changement subit dans les opinions, dans les choses, dans les affaires publiques, dans l’État » ; quant au « Larousse » il se contente de la définir : « Changement subit dans le Gouvernement d’un État ».’

Il est tout naturel qu’ayant défini le mot Révolution de façon ambiguë et incorrecte, la « Contre-Révolution » soit à son tour déformée dans son esprit et dans sa lettre. Lachâtre nous dit en effet que la Contre-Révolution est « Une Révolution qui a pour tendances de détruire les résultats de celle qui l’a précédée ». Cela peut sembler suffisant à ceux qui se grisent encore de démocratisme et de parlementarisme, mais pour ceux qui ont tant soit peu étudié l’histoire et la vie des diverses révolutions et contre-révolutions du passé, la définition de Lachâtre n’est pas seulement incomplète, elle est erronée.

Pour nous qui pensons que la Révolution est un tout et que rien ne peut en être détaché, qui la considérons comme le moyen de transformation absolue de la société capitaliste, et qui sommes convaincus que pour être efficace elle sera anarchiste ou ne sera pas, nous sommes amenés à dire que la Contre-Révolution, est l’ensemble des éléments qui, au lendemain ou à la veille d’un mouvement révolutionnaire ou insurrectionnel, agissent de façon à entraver l’instauration du Communisme anarchiste.

On peut donc être un facteur de Contre-Révolution avant même que la Révolution ait été déclenchée.

L’erreur que l’on commet assez couramment est de croire que seuls les éléments bourgeois sont un danger pour la Révolution et qu’une fois que ceux-ci sont affaiblis, sinon écrasés, la Révolution peut suivre son cours en toute tranquillité.

Cette erreur fut la cause de bien des désillusions, car si, au lendemain d’un mouvement populaire, le premier travail de salubrité consiste à s’assurer que les forces de réaction capitaliste se trouvent dans l’incapacité de nuire, et que toutes mesures soient prises pour les en empêcher, il est également indispensable de veiller à ce que le peuple en révolte ne se laisse pas entraîner sur le chemin qui le conduirait à un nouvel ordre social vicié à sa base, et qui petit à petit le ramènerait à son point de départ.

Lorsque nous disons que la Révolution est un tout, ce n’est pas que nous ayons la naïveté de croire qu’il soit possible d’élaborer dans le plus proche futur la Société Anarchiste. Nous savons que trop de préjugés encrassent encore le cerveau des individus et que les tares transmises par des milliers et des milliers d’années de servitude, seront des facteurs avec lesquels il faudra compter, facteurs de contre-révolution qui entraveront la réalisation immédiate d’une société vraiment anarchiste. Mais ce que nous croyons c’est que la Révolution peut se diviser en deux phases : qu’elle sera premièrement économique, matérielle, et ensuite, intellectuelle et morale. Sur le terrain économique, la Révolution doit établir l’égalité des hommes, égalité alimentaire pourrait-on dire, qui doit servir de fondement à l’évolution morale et intellectuelle des hommes vivant en société.

Or, à nos yeux, la Contre-Révolution se présente sous la forme de tout organisme qui, par ses pratiques ou sa propagande, arrête dans sa marche l’œuvre de destruction des vieux principes autoritaires sur lesquels repose toute l’inégalité économique et sociale des

sociétés modernes. Une Révolution laissant subsister une hiérarchie qui se manifeste non seulement par l’autorité gouvernementale, mais aussi par le privilège qu’ont certains de consommer plus que leurs semblables, est une révolution incomplète, qui traîne comme un boulet le lourd fardeau de l’illusion démocratique et renferme en elle-même tous les germes de corruption inhérents aux sociétés modernes.

La Révolution ne sera vraiment triomphante que :

1° Lorsque le capital aura totalement disparu de la surface du globe ;

2° Lorsque l’Autorité sera complètement abolie ;

3° Lorsque l’individu ne sera plus soumis à la contrainte d’autrui et qu’il sera entièrement libre de ses actes et de sa volonté.

Affirmer que demain il soit possible de voir le jour se lever sur un monde à ce point rénové serait une folie, et les Anarchistes vivent trop sur la terre pour ignorer les difficultés qu’il y aura à surmonter pour atteindre ce but. Cependant tout ce qui ne s’oriente pas vers ce but nous semble être Contre-Révolutionnaire.

On confond facilement Révolte et Révolution. La Révolution, comme l’a si bien démontré Kropotkine, sera communiste, ou alors, écrasée dans le sang, elle sera à recommencer. Par conséquent, si l’on accepte ce principe élémentaire du révolutionnarisme, que la Révolution doit ouvrir les portes du Communisme libertaire ― et les Anarchistes ne peuvent pas ne pas l’accepter ― tout ce qui est une entrave au Communisme est un facteur de Contre-Révolution.

Lorsque nous employons le terme « Contre-Révolution » ou « Contre-Révolutionnaire », nous ne donnons pas toujours à ces expressions un sens péjoratif, car il y a deux sortes de « Contre-Révolution et de Contre-Révolutionnaire ».

Dans la première catégorie, on peut classer tous ceux qui, par un mouvement de recul de la Révolution, espèrent reconquérir les privilèges abandonnés dans la lutte, et rétablir l’ordre social dans lequel ils étaient les maîtres tout puissants. Ce sont les Contre-Révolutionnaires appartenant à la bourgeoisie et qui ne désirent qu’une chose : voir se perpétuer l’inégalité et l’injustice politique, économique et sociale, qui leur assurent non seulement le bien-être mais aussi le superflu.

De ceux-là il n’y a rien à attendre, sinon des déboires ; ce sont des adversaires acharnés de tout mouvement de libération prolétarienne et ils ne méritent que le mépris et la haine des classes opprimées. Il faut les écraser dès les premiers jours d’un mouvement insurrectionnel.

Est-il besoin de s’étendre sur les facteurs de Contre-Révolution qui prennent leurs sources dans les rangs de la bourgeoisie ? La classe ouvrière sait bien ― et elle est payée, ou plutôt elle paye pour le savoir ― que le capitalisme n’acceptera jamais de bon gré la transformation d’une société qui lui permet toutes les jouissances et le fait bénéficier de tous les avantages. Par tous les moyens, le capitalisme se défend et se défendra contre les forces de Révolution ; il est contre-révolutionnaire par essence, en vertu même de la situation qu’il occupe dans la société ; et, durant les périodes catastrophiques, lorsque sous la poussée du populaire, les maîtres détrônés, jetés à bas de leur piédestal, sont obligés d’abandonner le terrain, ils n’acceptent leur sort que provisoirement et sitôt que l’horizon leur semble propice, ils mettent tout en œuvre pour reconquérir le terrain perdu. C’est l’histoire de toutes les révolutions du passé, et la plus récente, celle de 1917, en Russie, n’échappa pas aux attaques et aux manœuvres honteuses de la contre-révolution capitaliste.

Si la contre-révolution réactionnaire est possible, c’est que dans la Révolution elle-même il y a des fac-