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deux principes, il serait peut-être temps de nous démontrer les bienfaits de l’autorité et de la contrainte.

Ce qui est vrai, c’est qu’une minorité de malins tirent les ficelles de l’économie politique et sociale, et que la grande majorité suit ces mauvais bergers qui craignent que la liberté du peuple ne leur enlève leurs privilèges.

L’Autorité et la Contrainte ne sont avantageuses qu’à ceux qui les exercent et lorsque les hommes auront compris qu’il n’y a de bonheur possible que dans la liberté, ils feront table rase de tous les vieux préjugés qui les tiennent asservis au monde moderne, et se mettront au travail pour élaborer une société nouvelle, sans contrainte et sans autorité.


CONTRASTE. n. m. Opposition ou dissemblance d’objets, de propriétés physiques ou de qualités morales. « Contraste de l’obscurité et de la lumière ». « La pauvreté est un contraste choquant à l’opulence de certains ».

Il y a aussi des contrastes dans le domaine des idées. Les idées de Liberté sont en opposition et présentent un contraste aux idées d’autorité. Il faut espérer que du choc des contrastes jaillira un jour une ère nouvelle, où le contraste ne se manifestera plus que sur le terrain artistique et littéraire, mais où il aura totalement disparu de la vie économique des populations.


CONTRAT ANARCHISTE (LE). n. m. L’État étant disparu, ou évincé, comment les rapports entre les humains se règlent-ils entre les isolés et les associations, d’isolé à isolé, d’association à association ? Par une entente, un accord librement proposé, librement discuté, librement accepté, librement accompli ; en d’autres termes, par un Contrat.

Qu’on le dénomme « promesses », « conventions », le terme importe peu ; ce qui importe, c’est de savoir de quelle nature peut être ce contrat lorsqu’il est passé entre anarchistes.

S’il est hors de doute que les clauses d’un contrat doivent pouvoir être proposées, examinées et discutées dans des conditions laissant toute liberté d’esprit et d’action aux cocontractants, il est hors de doute également que lesdites clauses ne sauraient renfermer aucune stipulation qui soit contraire à la conception anarchiste de la vie humaine.

C’est ainsi que le contrat passé entre anarchistes ne saurait contenir aucune clause qui y astreigne malgré lui quiconque ne veut on ne peut plus en exécuter les termes.

Il se peut qu’un individu n’ait pas mesuré toute la portée de l’accord qu’il a souscrit ; qu’en cours d’exécution son état d’esprit se soit modifié sous l’influence de circonstances nouvelles. Il se peut qu’une émotion, qu’un sentiment d’une espèce ou d’une autre l’envahisse, le domine, s’empare de lui, momentanément tout au moins, le plaçant dans une situation mentale tout autre que la mentalité qui était sienne au moment de la conclusion de l’accord. Pour toutes ces raisons, le contrat passé entre anarchistes, doit pouvoir être résiliable.

L’un des contractants, de même, peut se juger lésé ou réduit à une situation défavorable, inférieure ou indigne de lui par rapport aux autres contractants. Les cocontractants peuvent s’apercevoir, après expérience, qu’ils ne sont pas qualifiés pour remplir les clauses du contrat qu’ils ont conclu. Ou encore qu’ils se sont aventurés au-delà de leurs aptitudes ou de leurs possibilités en se risquant à établir le contrat qui les unit même temporairement. C’est pourquoi une des conditions préalables à la conclusion du contrat entre anarchistes postule, de la part des cocontractants, un examen sérieux et préalable de leurs capacités et de leurs ressources.

Le contrat doit donc pouvoir être résiliable, mais avec préavis, car il est d’une élémentaire camaraderie qu’aucun des participants au contrat ne subisse d’embarras, de retard, de peine ou de dommage évitable, du fait de la rupture du contrat.

Même en cas de brusque rupture du contrat, il ne saurait être question, entre anarchistes, sous prétexte d’en faire respecter les termes, de l’intervention d’un tiers ou d’une autorité ou institution extérieure aux cocontractants. Il ne saurait être non plus question de sanctions disciplinaires ou pénales, sous quelque vocable qu’on les masque. Rien de cela ne serait anarchiste. On peut cependant, en cas de difficulté ou de litige en cours d’exécution du contrat, prévoir le recours à un arbitre-expert, ― un technicien, par exemple ― mais à la condition absolue qu’il soit, choisi par les deux parties en désaccord et qu’il jouisse assez de leur confiance pour que sa décision ne soit pas mise en discussion.

Tout contrat impliquant obligation, sanction, intervention étatiste, gouvernementale ou administrative extérieure aux cocontractants n’est ni individualiste ni communiste (anarchiste), il n’y a pas à ergoter là-dessus.

C’est pourquoi le contrat conçu à la façon dont nous l’entendons ― dont l’entendent les anarchistes de toutes les tendances ― ne peut être passé qu’entre unités humaines possédant un tempérament, une mentalité adéquats. Si cette mentalité préalable fait défaut, il n’y a pas de contrat possible entre anarchistes. C’est pourquoi encore ― même admise cette mentalité déterminée ― les anarchistes affirment que pour s’associer, il est urgent de se bien connaître, de ne passer contrat que pour une période et une besogne aussi bien déterminées qu’il est humainement prévisible.

Il est donc entendu théoriquement que le contrat se rompt dès qu’il lèse l’un des cocontractants. Comme toutes les formules d’ailleurs, celle-ci présente le défaut, quand on l’envisage dans ses applications pratiques, de ne pas tenir compte des circonstances de vie et de tempérament individuels. Pratiquement, l’on peut écrire que le contrat entre camarades anarchistes cesse dès que l’entente qui a présidé pour le conclure se retrouve pour le dissoudre.

En effet, le contrat conclu entre anarchistes pour une fin quelconque est sous-entendu n’avoir pas été conclu à la légère. Son origine a été exempte des restrictions mentales, des pensées de derrière la tête, des dissimulations, des fraudes, de cette recherche d’un intérêt sordide, qui stigmatisent les contrats en vigueur dans la société actuelle. Les cocontractants se connaissent, ils ont pesé le pour et le contre, réfléchi aux conséquences, examiné les points forts et les points faibles de la situation, prévu les dangers et les périls, supputé les joies et les avantages, déterminé les concessions qu’ils auraient à se faire mutuellement.

Ces remarques suffisent à indiquer qu’un contrat loyal ne cesse pas uniquement par suite du caprice, de la fantaisie, d’un mouvement d’humeur de l’un des contractants. Sa rupture ne se fait pas sans réflexion, sans examen sérieux des dommages ou des conséquences qui peuvent s’ensuivre.

Cependant, lorsque l’un des contractants a formulé sa volonté formelle de rompre le contrat, aucun anarchiste ne saurait s’y opposer. Cela ne veut pas dire que les autres cocontractants n’objecteront pas à cette rupture. Il se peut en effet, au moment où le contractant mécontent demande la rupture de l’association, que les autres associés se trouvent dans des dispositions d’esprit et de sentiment absolument semblables à celles qui les ont poussés à conclure le contrat. Un anarchiste peut donc objecter à la rupture, demander à réfléchir, faire valoir certaines raisons, invoquer certaines considérations, d’un ordre tout particulier quand il s’agit du