Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/436

Cette page a été validée par deux contributeurs.
CON
435

changeant les hommes au Pouvoir, changer le cours des événements ou la situation économique et sociale.

Il faut reconnaître qu’à côté des conspirations intéressées il en fut qui exercèrent une heureuse influence sur l’histoire des peuples, telle la Conspiration de Cromwell, qui, en renversant le roi Charles Ier d’Angleterre, ouvrit au pays la route du Libéralisme. Mais, en général, les conspirations sont d’essence politique et ne changent rien, sinon les hommes.


CONSTITUTION (LA). n. f. La Constitution dit le Larousse est la « loi fondamentale d’une nation ». Elle est en effet l’ensemble des règlements qui régissent un pays. En France, depuis la Révolution de 89, une douzaine de Constitutions virent le jour et la dernière date de 1875 et c’est encore en son nom que nous sommes gouvernés actuellement.

La Constitution de 1791 déclarait que la France était représentée par le Corps Législatif et par le roi, mais à la déchéance de Louis XVI et lorsque la monarchie fut abolie et remplacée par la République, une nouvelle Constitution devint nécessaire. Elle fut décrétée le 24 juin 1793 et acceptée le 10 août de la même année, mais elle ne fut jamais mise en vigueur car la République en ébullition et attaquée par ses ennemis intérieurs et extérieurs ne pouvait pas trouver le temps de s’arrêter à un système fixe ; la Convention se rallia au rapport présenté par Saint-Just et décréta que le Gouvernement serait révolutionnaire jusqu’à la paix.

Il n’est pas inutile de retracer quelques passages du rapport présenté à la Convention par Hérault de Séchelles qui rédigea la Constitution de 93. Un réel souci de liberté et de fraternité avait animé l’auteur de ce travail qui pêche cependant à sa base ; qu’on en juge par la conclusion : « Si, dans la moitié des départements plus un, le dixième des Assemblées primaires de chacun d’eux, régulièrement formées, demandent la révision de l’acte constitutionnel, le Corps législatif est tenu de convoquer toutes les Assemblées primaires de la République pour savoir s’il y a lieu de recourir à une convention nationale. Enfin la constitution garantit à tous les Français : l’égalité, la sécurité, la propriété, la dette publique, des secours publics, le libre exercice des cultes, une instruction commune, la liberté indéfinie de la presse, le droit de pétition, le droit de se réunir en Société populaire, la jouissance de tous les droits de l’homme. »

Les révolutionnaires de 93 ne comprirent pas que du fait même que la propriété subsistait, tous les autres articles de leur charte devenaient caducs et que la propriété qui avait été arrachée à la noblesse, n’allait pas servir à un meilleur usage entre les mains de ses nouveaux détenteurs.

Lorsque la révolution fut écrasée et que les éléments bourgeois dominèrent à nouveau, on vit naître en 1795 une nouvelle Constitution qui fut abolie à son tour et remplacée par la Constitution de l’an VIII qui tua la République. Ensuite ce fut l’Empire et la Restauration et plus tard la Révolution de 1848 qui proclama à nouveau la République.

Le 4 novembre 1848 la Constitution de la République fut promulguée ; le préambule mérite d’être cité.

« La France s’est constituée en République. En adoptant cette forme définitive de gouvernement, elle s’est proposé pour but de marcher plus librement dans la voie du progrès et de la civilisation, d’assurer une répartition de plus en plus équitable des charges et des avantages de la société, d’augmenter l’aisance de chacun par la réduction des dépenses publiques et des impôts, et de faire parvenir tous les citoyens sans nouvelles commotions, par l’action successive et constante des institutions et des lois, à un degré toujours plus élevé de moralité, de lumière et de bien-être. La Répu-

blique française est démocratique une et indivisible. Elle reconnaît des droits et des devoirs antérieurs et supérieurs aux lois positives. Elle a pour principes : la liberté, l’égalité et la fraternité. Elle a pour bases : la famille, le travail, la propriété, l’ordre public. Elle respecte les nationalités étrangères, comme elle entend faire respecter la sienne ; n’entreprend aucune guerre dans des vues de conquête, et n’emploie jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple. Les citoyens doivent aimer la patrie, servir la République, la défendre au prix de leur vie, participer aux charges de l’État en proportion de leur fortune ; ils doivent s’assurer par le travail, des moyens d’existence, et par la prévoyance des ressources pour l’avenir ; ils doivent concourir au bien-être commun en s’entraidant fraternellement les uns les autres, et à l’ordre général en observant les lois morales et les lois écrites qui régissent la société, la famille et l’individu.

« La République doit protéger le citoyen dans sa personne, sa famille, sa religion, sa propriété, son travail, et mettre à la portée de chacun l’instruction indispensable à tous les hommes ; elle doit, par une assistance fraternelle, assurer l’existence des citoyens nécessiteux, soit en leur procurant du travail dans les limites de ses ressources, soit en donnant, à défaut de la famille, des secours à ceux qui sont hors d’état de travailler. »

Dans ce préambule se cristallise toute la démocratie, et si les formes de la Constitution de 48 ont été abrogées par la Constitution de 1852 et celle de 1875, l’esprit de cette dernière conserve toujours en son sein l’erreur fondamentale qui consiste à croire que la liberté peut exister dans un régime où l’inégalité économique, issue de la propriété, est la base même de ce régime.

On comprendrait encore que les Révolutionnaires de 93 eussent commis la faute grave de ne pas comprendre qu’il ne peut y avoir de liberté et de fraternité tant que la transformation économique de la société ne se sera pas réalisée ; mais on ne peut accorder ces circonstances atténuantes aux démocrates de 48 et de 75 qui avaient pour se guider l’exemple du passé et l’expérience de la demi-douzaine de Constitutions qui avaient été inopérantes à établir un régime stable et fraternel. Il faut donc en conclure que la Constitution est une belle page de rhétorique, rédigée en connaissance de cause, par des parlementaires attachés à la conservation de la propriété et qui ne voulaient en aucun cas que les classes pauvres se libèrent du joug de l’exploitation.

Que le peuple se laisse griser par ses espérances démocratiques et que la Constitution lui donne l’illusion de la Liberté et de la Fraternité, cela ne fait aucun doute. La charte de 1875, qui déclare que « tous les citoyens sont égaux devant la loi », et que cette loi ne peut être que l’expression de la volonté populaire puisqu’elle est élaborée par les représentants du peuple élus par ce dernier au suffrage universel, découle de raisonnements captieux.

« Égalité devant la loi » ne veut pas dire « Égalité en soi » et la Liberté dans la loi n’est pas « La Liberté » ; et puisque la loi en vertu même de la Constitution dont elle n’est qu’une dérivation, défend la « propriété » contre ceux qui voudraient l’attaquer, la Constitution et la loi, quelles que soient les formules employées, ne peuvent être une source de liberté, d’égalité et de fraternité.

On ne peut arriver « à un degré plus élevé de moralité, de lumière et de bien-être » tant que la Société reposera sur le Capitalisme ; voilà la vérité de laquelle il faut s’inspirer.

Lorsque Lamennais pose la question : « Qu’est aujourd’hui le prolétaire à l’égard du capitaliste ? », il y répond avec une simplicité brutale mais précise : « Un instrument de travail ».