Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/386

Cette page a été validée par deux contributeurs.
CON
385

commercial. D’autre part, le commerce n’est qu’une dérivation de l’industrie et de la manufacture, et c’est particulièrement à la base que se livre la grande bataille de la concurrence. C’est donc la concurrence industrielle que nous allons étudier tout d’abord.

La concurrence, nous dit Lachatre, est « l’acte par lequel plusieurs personnes cherchent à participer aux profits résultant de l’exploitation d’une même industrie ». Nous avons dit, plus haut, que c’est en raison directe des possibilités et des facultés du commerçant ou de l’industriel à se procurer à bas prix les produits indispensables à son entreprise, qu’il pourra concurrencer avantageusement un adversaire. Or, si la définition de Lachatre est exacte, la concurrence repose, à son origine, sur une inégalité, car les chances sont loin d’être égales pour tous les concurrents et, de toute évidence, celui qui possède une grosse fortune est sensiblement avantagé. La loi défend, nous dit-on, la concurrence déloyale ; il est pourtant difficile de concevoir la loyauté d’un commerçant ou d’un industriel qui oppose à son concurrent ne possédant que dix mille francs une fortune de un million. Sa loyauté nous paraît semblable à celle d’une troupe de guerriers qui, armée de fusils et de mitrailleuses, s’attaquerait à une autre troupe, armée simplement des lance-pierres préhistoriques utilisés par David contre Goliath. En conséquence, nous nous trouvons, en raison même de l’évolution de la concurrence, en présence de quelques groupes ou syndicats qui détiennent toute la richesse sociale et qui se combattent pour écouler leurs produits, rester les maîtres du marché et imposer leurs prix.

Étudions, premièrement, les résultats de la concurrence nationale et nous envisagerons plus loin ceux consécutifs à la concurrence internationale.

« La guerre de la concurrence se fait à coups de bas prix », nous dit Karl Marx ; cela ne veut pas dire que la concurrence détermine les prix les plus bas. Évidemment, c’est celui qui vendra le meilleur marché qui aura le plus de chance d’attirer la clientèle ; mais les procédés employés pour obtenir ce résultat sont tels que, loin d’abaisser les prix possibles de vente, la concurrence les augmente. Du reste, s’il en était autrement, la vie diminuerait chaque jour, le phénomène qui se produit est tout à fait contraire.

Pour plus de clarté dans la démonstration qui va suivre, nous simplifierons le problème, en ne présentant le marché que concurrencé par deux adversaires.

Supposons deux industriels possédant une fortune d’égale valeur, disposant du même outillage et fabriquant le même produit. En se procurant les matières premières aux mêmes conditions, le prix de revient du produit manufacturé sera inévitablement le même. L’industriel n’a donc d’autres moyens à sa portée, s’il veut lutter contre son concurrent, que de spéculer sur la main-d’œuvre de ses ouvriers en abaissant leurs salaires ; ou d’exiger d’eux une production supérieure durant un même nombre d’heures de travail. L’abaissement des salaires a une limite, car il faut que le producteur ait, tout de même, la possibilité de satisfaire ses besoins les plus élémentaires et ceux de sa famille. C’est donc sur la production intensive que le manufacturier peut espérer obtenir des résultats. Cette production intensive est le premier inconvénient de la concurrence, et la première victime en est le travailleur. Si la surproduction réduit le prix de revient d’un produit manufacturé, par contre, lorsque le capitaliste considère que son accumulation de marchandises est momentanément suffisante, il arrête sa production. Marx nous enseigne que : « Le système tout entier de la production capitaliste

repose sur le fait que l’ouvrier vend sa force de travail comme marchandise et que, comme du papiermonnaie n’ayant plus cours, l’ouvrier devient invendable sitôt que la surproduction permet au capitaliste de se passer de ses services. L’inondation du marché par la main-d’œuvre inoccupée provoque donc fatalement une offre supérieure à celle de la demande et fait baisser le prix des salaires. »

La main-d’œuvre est peut-être la seule marchandise sur laquelle peuvent jouer l’offre et la demande. Dans le commerce, le capitalisme provoque la demande lorsqu’il veut faire hausser les prix ; sur le terrain du travail, cette possibilité n’est pas permise au prolétaire puisque ce dernier, s’il veut vivre, est obligé de vendre sa marchandise travail au jour le jour.

Nous voyons donc que la surproduction est nuisible à tous les points de vue, et, cependant, elle n’est que la première des conséquences de la concurrence.

Il arrive que les circonstances ne se prêtent pas aux exigences de la concurrence et que les travailleurs se refusent ou de surproduire ou d’accepter une diminution de salaires, et l’industriel doit avoir recours à un autre procédé : la fraude, qui consiste à employer dans la fabrication d’un objet des matières premières de qualité inférieure ; si, dans le premier cas que nous signalons, l’industriel vole le producteur, dans le second, il vole le consommateur.

Nous avons dit plus haut que le commerce était le vol autorisé. Le commerçant n’a donc aucune raison de se gêner et les divers moyens précités sont employés par tous ceux qui pratiquent le commerce ou l’industrie. Aucun scrupule ne peut animer celui qui accepte de vendre le plus cher possible une marchandise et qui ne consent à baisser ses prix que dans la mesure où il y est contraint par la concurrence.

Lorsque l’on a usé du vol, on peut user du mensonge, et c’est en vertu de cette logique toute commerciale que, dans le jeu de la concurrence, entre la publicité. Si, dans sa simplicité, la rivalité entre deux commerçants ou industriels peut amener une baisse dans le prix de vente d’une marchandise, la publicité agit dans un sens inverse et fait hausser, dans une proportion plus grande le prix des marchandises. On se demande avec stupeur, en lisant son journal et en constatant la place qui y est réservée à la publicité, en contemplant les murs des villes et des villages recouverts d’affiches multicolores vantant la qualité d’objets les plus divers ; on se demande, disons-nous, de combien le commerçant ou l’industriel est obligé de majorer les prix d’origine, pour arriver à récupérer les sommes fantastiques englouties par les contrats de toutes sortes et le battage organisé en faveur des produits offerts au consommateur.

Il est donc démontré que la concurrence sur le terrain national produit des effets contraires à ceux que le consommateur pouvait en espérer, puisqu’elle provoque le chômage, la baisse des salaires, la cherté de la vie, et la mauvaise qualité des marchandises.

Ainsi, dit Sébastien Faure : « La concurrence jette les uns contre les autres les capitalistes de toute taille, de toutes nations, de toutes races. Dans se choc violent sans cesse répété et qui, chaque jour, devient plus violent, les vaincus sont de plus en plus nombreux et ce n’est qu’en piétinant sur des cadavres s’amoncelant sans trêve ni merci, que les « FivesLille » et les « Creusot », pour l’industrie en France, et les « Louvre » et les « Bon Marché » pour le commerce parisien et même français, peuvent donner à leurs propriétaires ou actionnaires les bénéfices qu’ils attendent.

« Le champ de bataille jonché de morts et de mourants reste donc à ceux qui disposent des bataillons