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la puissance politique. Son histoire est un miroir fidèle de l’histoire de la Révolution, dont elle fut, la crête de la gigantesque vague révolutionnaire qui déferla sur la France, le Sinaï, pour parler avec Victor Hugo, bien plus que la Convention de la pensée et de l’action iconoclaste de l’époque, de cette époque unique, qui après avoir proclamé les Droits de l’Homme et du Citoyen, nous a laissé par le Manifeste des Égaux son testament : la réalisation de l’égalité de fait.

D’abord constitutionnelle, sous l’administration de Bailly, l’homme de la Constituante, ensuite franchement démocratique avec Danton pour substitut, la Commune se fit, le 10 août 1792, montagnarde et, dominée ensuite de plus en plus par les sections révolutionnaires de la capitale elle devint, après la grande lessive de septembre, l’âme même de la République et de la Révolution en inscrivant dans l’histoire universelle la plus belle page qui ait jamais illuminé la marche ascendante de l’humanité depuis ses origines. Sa défaite fut la mort de la République et ouvrit toute grande la voie aux saturnales sanglantes du premier Empire et aux monstrueuses ignominies de la terreur blanche.

Mais le temps « ténébreuse abeille, qui fait du bonheur avec nos maux » conspire pour nous et le capitalisme naissant ressuscita le prolétariat, toujours abattu et jamais vaincu. Le voici, en 1831, à Lyon de nouveau debout et le fusil à la main demandant « à mourir en combattant ou à vivre en travaillant », réclamant, en juin 1848, le Droit au Travail et préludant ainsi, par ces deux insurrections, à ce que Malon a appelé la troisième défaite du prolétariat, qui fut, en réalité sa première victoire par son lendemain dont l’aurore prometteuse se lève partout.

De toutes les dates qui marquent un effort du peuple pour secouer ses chaînes, une étape du prolétariat dans son long et dur calvaire pour arriver à l’Égalité et à la Justice, le 18 mars 1871 est, sans contredit, une des plus belles et des plus fécondes.

L’héroïque peuple de Paris, en balayant l’ignoble tourbe des traîtres, des capitulards et des assassins monarchistes, ne s’était pas soulevé dans un but égoïste de conquête municipale ou départementale. Il ne s’agissait pas seulement pour lui, comme l’ont prétendu depuis des politiciens aux abois, exploiteurs du mouvement de la Commune, d’obtenir des franchises municipales plus ou moins étendues et de déjouer le complot monarchiste qui se tramait à Versailles.

Relevant l’étendard des Canuts de Lyon de 1831 et des combattants de juin 1848, le prolétariat parisien lutta pendant 70 jours pour l’affranchissement complet, définitif de tous, pour la République égalitaire et sociale.

Comme Fernand Cortez brûlant ses vaisseaux, les fédérés portèrent une main hardie sur l’édifice séculaire de la servitude et de la faim, rompant d’une façon irrémédiable avec l’odieux passé monarchique, clérical et bourgeois.

L’abolition de la conscription et la suppression de l’armée permanente, la guerre à mort déclarée à l’Église, la guillotine brûlée en place publique, le retour au calendrier républicain de 93 et un commencement de justice rendu au monde du travail, attestent la victoire du prolétariat contre la bourgeoisie, du peuple contre ses maîtres.

Certes les réformes opérées sur le terrain économique par la Révolution du 18 mars étaient absolument insuffisantes, tout à fait au-dessous de ce qu’il était permis d’attendre d’elle.

Au lieu de s’emparer révolutionnairement des millions entassés dans la Banque de France qui auraient suffi, à eux seuls, pour assurer la victoire, au lieu de procéder à l’expropriation générale des patrons et des propriétaires au profit de la Commune, le pouvoir révolu-

tionnaire se contenta de prélever une somme dérisoire sur la Banque pour rémunérer les gardes nationaux, d’interdire les amendes et les retenues dans les ateliers et les administrations ; de décréter la suppression du travail de nuit dans les boulangeries et d’ordonner que les ateliers abandonnés, par les patrons, soient, après enquête et réserve faite des « droits » des dits patrons, attribués aux associations ouvrières pour en continuer l’exploitation.

Néanmoins, nous ne croyons pas qu’il faille trop tenir rigueur à la Commune de ses fautes et de ses faiblesses.

Abandonnée à ses propres ressources, séparée du reste de la France par deux armées ennemies, la situation dans laquelle elle se débattait, était désespérée, sans issue.

Contraint à une lutte qu’il n’avait pas cherchée sitôt, le parti socialiste proprement dit qui ne formait que le quart des membres de la Commune, n’avait pas eu le temps d’organiser les forces populaires et de donner au mouvement parisien une impulsion consciente. De là ses tâtonnements, ce vague dans les aspirations économiques. Tous les combattants voulaient l’Égalité par l’universalisation du pouvoir et de la propriété (proclamation de Pascal Grousset), mais on recula devant la mise en pratique.

Certaines mesures de la Commune étaient cependant empreintes d’un véritable esprit socialiste. De ce nombre il faut notamment citer le décret accordant une pension de 600 francs à la femme légitime ou non du fédéré tué devant l’ennemi et une pension de 365 fr. à chaque enfant reconnu ou non jusqu’à l’âge de 18 ans.

La Commune, en mettant sur un pied d’égalité la concubine et l’épouse, l’enfant légitime et l’enfant naturel, portait un coup mortel à l’institution religioso-monarchique du mariage et jetait ainsi le premier jalon d’une modification profonde de la constitution oppressive de la famille actuelle.

En rompant en visière avec les pratiques de la vieille morale spiritualiste faite de souffrances et d’iniquités, la Révolution du 18 mars donnait à la femme les mêmes droits civils et moraux qu’à l’homme et effaçait à jamais la flétrissure infligée aux enfants nés en dehors du mariage.

Le déboulonnement de la colonne Vendôme fait aussi foi du même esprit socialiste. Cette mesure, tant reprochée aux fédérés par la bourgeoisie européenne, est une des plus pures gloires de cette sublime révolte populaire dont elle atteste le caractère véritablement démocratique et humanitaire.

En renversant la colonne impériale, symbole de prostitution monarchique et de conquête guerrière, la Commune affirmait, en face des armées versaillaise et allemande, son amour de la paix, la solidarité et la fraternité de tous les peuples ; sa haine des rois et des tyrans.

Aussi, les victimes de l’exploitation capitaliste et de la tyrannie gouvernementale de partout, comprirent-elles la portée internationale de la Révolution du 18 mars. L’idée qu’elle a semée a germé et mûri.

Pendant les deux mois que la Commune avait été maîtresse absolue de Paris, pas un viol, pas un vol, pas un meurtre n’avaient souillé la vie publique de la métropole. La prostitution et le crime s’étaient enfuis à Versailles avec le gouvernement et les représentants de l’aristocratie, leurs protecteurs et complices naturels.

La Commune ne procéda à l’exécution d’aucun représentant de l’ordre capitaliste et le décret sur les otages, qui lui a été si niaisement reproché par des sentimentalistes imbéciles ne doit être envisagé que comme une mesure de légitime défense.

Venant après le double assassinat de Duval et de Flourens, il eut le mérite de mettre un frein à l’égor-