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La loi sur les expropriations. ― Ce fut une révolution et une renaissance. Ceux qui ont vécu au sein des campagnes, qui ont étudié l’histoire d’une province savent ce qu’était la vie rurale et ce qu’était la condition des paysans il y a cent ans. Le quart des terres était inculte, envahi par les joncs ou détrempé. Il était impossible d’établir un système rationnel ou suffisamment contenu pour l’irrigation ou pour l’épanchement des eaux. Il aurait fallu toucher à la propriété du voisin.

L’automne venu, les chemins étaient presque impraticables, coupés par des ravins étroits, rongés par leurs fossés. Il n’était pas rare qu’un voyageur téméraire appelé dans un village, vît sa voiture s’embourber, et qu’il fallût quérir des bœufs dans quelque étable lointaine pour le tirer du mauvais pas. Le métayer mangeait du pain de seigle et tuait un cochon dont la chair, salée dans un pot de grès, fournissait aux festins espacés de la famille. On appelle, dans certains pays, les beaux habits, les habits de fête, des habits à manger de la viande, tant ce luxe était rare.

On a osé toucher à la propriété, pour satisfaire à l’intérêt public, moyennant une juste et préalable indemnité. Des travaux d’intérêt public ont pu être entrepris, des routes créées, des établissements publics édifiés : l’expropriation est devenue d’usage si courant, quoique son emploi soit prudent, qu’on ne songe plus à ce que pouvait être la face des régions ou la forme des villes avant son invention.

Les lois du travail. ― Les lois sur la réglementation du travail, sur la limitation de sa durée, sur le repos hebdomadaire, sont une dérogation évidente mais bienfaisante et légitime à la liberté des contrats, dans l’intérêt de la liberté.

La Déclaration des Droits de l’Homme a proclamé non seulement la liberté, mais aussi la sûreté, c’est-à-dire l’aide sociale à laquelle le citoyen doit prétendre pour la sauvegarde de ses droits reconnus.

Nos ancêtres qui ont planté des arbres de la liberté ont entouré l’arbrisseau d’épines pour le protéger ; leurs descendants doivent entourer l’arbre d’une grille solide pour le défendre contre ceux qui voudraient l’ébrancher, le meurtrir ou l’abattre.

Or, voici le phénomène qui s’est produit :

Les législateurs anciens ne connaissaient que les formes anciennes de l’absolutisme et de la tyrannie. Ils ont garanti l’homme contre les abus et les excès qu’ils ont pu prévoir ; ils ne connaissaient pas les valeurs financières et ne considéraient pas les quelques feuilles volantes éparpillées ou collectionnées par le commerce comme pouvant un jour se transformer, s’amonceler, constituer des fortunes dont la forme dépasserait celle de la fortune immobilière. Pour le dire d’un mot, ils n’ont pas prévu ce que nous appelons le Capital.

Le Capital, entre les mains de la Finance, du commerce et de l’industrie a pris la même consistance que la terre entourant le château-fort, quand elle était la propriété des seigneurs féodaux. L’usine est un fief, la mine est un fief, la grande maison commerciale est un fief. Ces fiefs asservissent ceux qui vivent et travaillent sur le fief. Ceux qui comparent le régime capitaliste à la féodalité ne savent pas toujours combien ils ont raison, à cette différence près que le seigneur féodal avait une tête et un visage, que le capitaliste peut n’en pas avoir. La société anonyme, la société par actions, la société en commandite même sont des entités, des personnes surhumaines et masquées ; la cote de mailles qui revêt ces puissants suzerains est formée de mailles nombreuses et la visière baissée, ils reluisent de tous les reflets extérieurs du coffre-fort.

La liberté des contrats n’existe que là où le consen-

tement est libre ; le voyageur qui part pour une affaire urgente et qui prend son billet de chemin de fer ne conclut pas avec la compagnie un libre contrat de transport. Peut-il discuter le prix ?

L’ouvrier qui loue ses services au maître d’une fabrique, d’un chantier, etc., ne conclut pas un libre contrat de louage, alors surtout que, par une entente commune, les patrons ont unifié les conditions générales des contrats alors que, pour employer une formule familière mais énergique, c’est à prendre ou à laisser, alors que l’être humain qui a des bras mais qui a une bouche et d’autres bouches à nourrir outre la sienne, doit se soumettre, marcher ou mourir.



La loi sur les accidents du travail a jeté bas une des poutres les plus robustes de la charpente judiciaire.

Il était de doctrine et de jurisprudence que les dommages-intérêts prenaient leur source dans une faute commise. Le Code civil contient, même, à cet égard, deux dispositions caractéristiques du principe. Lorsque des marchandises arrivent avariées, une présomption de faute pèse sur le transporteur. La chose inanimée est inconsciente et ne peut fournir un témoignage. La personne accidentée peut et doit au contraire prouver la faute du transporteur. Lorsque, emporté dans un express, vous êtes la victime d’une catastrophe, pourrez-vous prouver la faute du mécanicien ou la défectuosité de la voie ? La Cour de cassation, par des arrêts qui sont récents, a imposé au transporteur, dans tous les cas, une présomption de responsabilité.

L’ouvrier blessé devra-t-il aux termes de la loi prouver la faute du patron ou de ses préposés ? Non ; le travail, par les risques inhérents à son exercice ou à sa production, est considéré comme un coupable permanent. L’ouvrier accidenté reçoit une rente ou une indemnité par le seul fait de sa blessure, de son impotence ou de son infirmité si elles sont le fait du travail ou si elles sont survenues à l’occasion du travail.

La loi, à l’origine, distinguait entre les exploitations. Elle s’appliquait à celles qui emploient la forme motrice à l’exclusion des autres.

D’où cette conséquence bizarre que, si un comptable, dans un bureau, à Paris, s’entaillait le doigt avec un canif et que si la maison mère dont dépendait le bureau, avec siège social à Rouen, employait dans ses ateliers un moteur, le blessé avait droit à une indemnité ; sinon il ne pouvait rien réclamer.

Les députés qui avaient voté, en fin de législature, cette loi embryonnaire se séparèrent avec la crainte et le remords d’avoir ruiné la petite industrie. Ils n’avaient pas songé à cette institution souple et variée : l’assurance qui s’empressa de se poser sur les magnifiques territoires annexés soudain au continent des risques. Aussi, pour la première fois, fût-il donné de voir la jurisprudence travailler à étendre, au lieu de la restreindre et de la stériliser, une réforme démocratique. Et des lois postérieures ont appelé tous les travailleurs manuels au bénéfice de l’allocation : indemnité de demi-salaire pour l’incapacité partielle et permanente, rente proportionnelle pour l’incapacité absolue et permanente. Le travailleur reçoit l’indemnité même si l’accident a été causé par sa faute ; sa faute inexcusable entraîne seulement une réduction de la rente et il est irrecevable à réclamer s’il a intentionnellement provoqué l’accident.

Démembrement du droit de propriété. ― La dévastation produite par la guerre, l’arrêt qu’elle a infligé à la construction, plus encore le développement du bien être et la multiplication normale des habitants ont produit la crise du logement. Le logement est une nécessité. Le législateur a dû intervenir et faire céder le droit ab-