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qu’aiment à le croire les défricheurs. Arrachons ses broussailles, disent ils, et nous aurons devant nous la plaine ; qu’ils prennent garde à la forêt de Bondy ! Les vagues se heurtent ; le conflit des intérêts ne se résout pas tout seul dans l’amplitude rythmée des ondes que les vents capitalistes poussent vers le rivage. Il faut plaider et les plaideurs sont trop. L’étroitesse des portes les retarde plus que les degrés de l’escalier. Il y a, au Palais, des rôles encombrés, comme il y a, dans Paris, des carrefours embouteillés.

Le code pénal énumère les actes qu’il proclame coupables et punissables ; il les distribue en trois catégories : les contraventions, les délits et les crimes. Il leur assigne des peines proportionnées à leur gravité théorique ; il laisse aux juges le soin de se mouvoir suivant les espèces, mais en observant le tarif du catalogue, entre un maximum et un minimum applicable à la classe de l’infraction commise ou du forfait soit tenté soit accompli. Il va de l’amende à la peine de mort, et les plus généreuses protestations n’ont pu encore arracher la guillotine à ses dalles juridiques et judiciaires.

Deux lois salutaires et humaines ont tempéré la rigueur des textes primitifs : l’une fort ancienne, qui a permis l’admission des circonstances atténuantes, l’autre déjà vieille mais qu’ont souhaitée d’abord, qu’ont vu naître ensuite des juristes à barbe blanche : la loi sur la suspension des peines dite « loi Béranger ».

La sévérité des peines qui frappaient l’infanticide a été atténuée par des dispositions plus récentes encore ; les filles mères délaissées dont là faute et l’égarement attestaient l’égoïsme du mâle ont fait fléchir la sollicitude du législateur pour son protégé d’ordre public : l’enfant.

Le Code d’instruction criminelle. ― Le Code d’instruction criminelle institue la poursuite et la répression. « La procédure criminelle, dit avec beaucoup de précision et de netteté, le répertoire juridique de Dalloz, présente trois périodes distinctes : « dans la première, elle recherche les traces du crime ou du délit et s’efforce d’en découvrir les auteurs ; dans la seconde, elle apprécie le caractère légal du fait et, après en avoir rassemblé les preuves, elle détermine, s’il y a lieu, le tribunal compétent pour en connaître ; dans la troisième enfin elle amène le prévenu devant ce tribunal, soumet l’accusation et la défense à des règles nécessaires, destinées à protéger leurs droits respectifs, et entoure le jugement des formes les plus propres à en assurer la maturité et la sagesse. »

Nous n’avons pas voulu tronquer cette citation orthodoxe ; nous voulons bien considérer que cet équilibre impartial entre l’accusation et la défense garantit la maturité et procure la sagesse des jugements : tel est du moins le vœu de la loi.

La loi n’est pas moins prudente quand elle tente de garantir les innocents ou les simples suspects contre les arrestations arbitraires, les détenus contre l’indifférence ou l’oubli qui les laisseraient macérer dans les geôles ; le droit essentiel, droit primordial de l’homme et son droit à la liberté. Mais, ayant satisfait à cette prudence préliminaire, le Code d’instruction criminelle ouvre au magistrat instructeur un crédit illimité.

Un professeur de droit, un savant criminaliste dont la Faculté de Paris a conservé avec estime le souvenir, aimait à poser, comme examinateur, une question qui prenait au piège l’étudiant irrégulier, celui qui n’avait pas suivi les cours du maître : ― Quel est, en France, le magistrat qui jouit du pouvoir le plus étendu ? ― Le Président de la République, répondait le candidat. ― Non, le juge d’instruction.

Ce pouvoir absolu a d’abord été mitigé dans la pratique par la collaboration et la surveillance du Par-

quet dont le juge ne saurait dépendre, mais dont il accepte l’autorité. La loi a tempéré elle-même l’autocratie d’un régime qui est en communication constante avec le régime cellulaire. Elle a rendu l’instruction contradictoire. Il faut entendre par là que l’inculpé ne peut être interrogé ni confronté sans l’assistance de son avocat, et que le défenseur est appelé à prendre connaissance, vingt-quatre heures avant ces actes judiciaires, des pièces réunies par l’information.

Le juge dicte au greffier la rédaction des témoignages reçus et des déclarations recueillies : le progrès des appareils qui inscrivent là parole permet de prévoir que des disques, pièces accessoires de conviction, enregistreront les paroles mêmes des comparants.

Quoique modérée, l’autonomie du magistrat instructeur reste encore autocratique. Par des enquêtes officieuses, il peut tenir en échec le contrôle de l’instruction contradictoire ; par la détention préventive, par les commissions rogatoires données en France ou à l’étranger pour auditions de témoins ou vérifications de mandats, par les perquisitions, par les saisies et notamment celle de la correspondance, il peut ruiner le crédit ou la réputation d’un prévenu, il peut faire d’un justiciable un cadavre effectif, avant qu’il ne soit un condamné étiqueté ou un condamné à dommage irréparable. C’est dans la conscience du juge que se trouve le régulateur de cette puissance inexorable ; il faut à cette conscience tant de sagacité, tant de perspicacité, une vigilance si persévérante qu’on aimerait à voir la loi française faire quelques emprunts à la législation anglaise et s’inspirer des principes que consacre l’ « habeas corpus ». Il n’est pas téméraire de penser que tout prévenu, dont la détention préventive aurait dépassé deux mois, devrait être déféré à un jury qui, connaissance prise des charges relevées et des présomptions acquises, statuerait, par un avis motivé, sur la mise en liberté provisoire. L’avis motivé pourrait tenir la malignité publique en suspens.

Le Code d’instruction criminelle attribue au juge de paix, tenant l’audience de simple police, la connaissance des contraventions, sauf appel quand la condamnation dépasse un taux assez faible d’amende ou de réparations civiles. Nous n’entrons pas dans le détail de certaines extensions qui modifient cette compétence, notamment en matière d’injures ou de diffamations non publiques. Les délits contraventions et les délits, à charge d’appel dans tous les cas, sont déférés aux magistrats ordinaires qui forment le Tribunal correctionnel. Expliquons cette expression : magistrats ordinaires.

Le magistrat français a l’omniscience. Il s’adapte, sans préparation, à toutes les causes : le divorce ou l’hypothèque, la contrefaçon ou le louage d’industrie, la quotité disponible ou le dédit théâtral. Il ne naît pas civiliste ou criminaliste, il le devient, que ses aptitudes comportent ou non ce savoir et cet instinct qui préparent à la déduction ou à l’induction. S’il est nommé juge d’instruction, il s’en réjouit pour la facilité de sa carrière ; s’il est envoyé à une Chambre correctionnelle, il subit cette disgrâce passagère, car le droit criminel est le parent pauvre du droit civil. Il intéresse la liberté, l’honneur, l’avenir, la vie des citoyens. Peu importe. Vous serez jugés doctement si votre cheminée enfume le voisin ; vous serez jugés avec résignation et par complaisance si vos proches anxieux, vos ennemis vigilants, vos concurrents hostiles attendent que la justice vous ayant reçu pâle et blême vous renvoie blanc ou noir.

L’attention du public se porte surtout vers la Cour d’assises et nous devons rendre cet hommage au peuple que le jury est chez nous une institution populaire ; Elle ne s’est pas implantée sans résistance dans l’arène