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essentiellement sociale, n’ayant rien de commun ni avec les partis ou le pouvoir politique, ni avec l’État, l’autorité, la dictature, etc.

Les anarchistes affirment que la voie politique (parti, pouvoir, État, autorité, dictature), que la lutte politique (comprise dans ce sens) sont contraires à la lutte des classes. (Voir : Politique) Ils prétendent que cette dernière est déformée, mutilée, meurtrie et réduite à l’impuissance complète par les moyens politiques. Ils citent le cas du bolchevisme en Russie dont l’épopée confirme, à leurs yeux, leur point de vue. Ils déclarent que la lutte des classes, que toute action de classe désirant aboutir à une victoire réelle, doit être menée par les intéressés — les classes travailleuses elles-mêmes — s’organisant et agissant eux-mêmes, directement, sur le terrain strictement social, économique et de classe, sans recours aucun aux partis politiques ni à leurs programmes politiques de pouvoir, d’État, de dictature, etc. Ils pensent que la Révolution vraiment victorieuse, sera celle qui ne sera politique que négativement : c’est-à-dire, qui tuera toute politique, tous partis politiques, tout programme politique, tout pouvoir, toute autorité, tout État, toute dictature, et qui, au point de vue positif, s’efforcera à établir la société nouvelle sur des bases apolitiques, sociales, économiques.

Logiquement, l’anarchisme nie : le parti politique, le pouvoir politique, l’État, l’Autorité, la dictature. Il considère le soi-disant « État prolétarien » ou la fameuse « dictature du prolétariat » comme des non-sens, estimant que tout État et toute dictature ne peuvent être que des institutions essentiellement bourgeoises exploiteuses, et que tout moyen politique est également un procédé bourgeois.

C’est pourquoi, les anarchistes prétendent que leur conception, leur idéologie, sont les seules qui, réellement, s’appuient sur la véritable lutte des classes comme le levier immédiat de la salutaire Révolution sociale.



La différence des conceptions fondamentales mène, logiquement, à celle de toutes les notions dérivées.

Pour les socialistes, la conscience de classe consiste en ce que l’exploité se rende parfaitement compte de ce qu’il appartient à la grande famille, à la classe des travailleurs dont les intérêts sont opposés à ceux de la classe bourgeoise ; qu’il soit, par conséquent, conscient de la grande tâche sociale de sa classe ; qu’il prenne part activement à la lutte menée par sa classe ; qu’il soit prêt à sacrifier, à tout instant, ses intérêts personnels à ceux de sa classe, etc. ; et, surtout, qu’il adhère au « parti politique de sa classe », qu’il « soit conscient de la nécessité des méthodes politiques, qu’il reconnaisse les principes de là conquête du pouvoir politique, de l’établissement de l’ « État prolétarien » et de la « dictature du prolétariat ».

Étant d’accord sur tous les autres points, les anarchistes rejettent, naturellement, le dernier. Ils affirment juste le contraire. Pour eux, tout exploité se rangeant à la doctrine politique, manque de conscience de classe : il est trompé ; il perd le véritable terrain de la lutte des classes ; il n’en a pas la juste notion. Pour eux, la vraie conscience de classe implique la condamnation des moyens et des buts politiques. Ils considèrent la confusion de la « classe » avec le « parti politique » comme un manque de conscience de classe.

Les socialistes et les anarchistes sont d’accord sur ce que la justice de nos jours est une justice de classe habilement masquée par les serviteurs des classes possédantes. Mais : tandis que les uns s’apprêtent à lui substituer la « justice » organisée par l’État dit « ouvrier », les autres, estimant que tout État sera

fatalement bourgeois et qu’un « État ouvrier » est une illusion ou une tromperie, en concluent, logiquement, que cette nouvelle « justice » ne serait autre chose que la justice des nouveaux privilégiés, encore plus habilement masquée et dirigée contre les éternels exploités. La « justice » fameuse, exercée de nos jours dans l’État soviétiste, leur donne entièrement raison. Ils estiment, donc, que la véritable justice humaine aura lieu, après la Grande Révolution, en dehors de tout État et dans des formes n’ayant rien de commun avec les procédés politiques, étatistes, juridiques.

Les uns et les autres — les socialistes et les anarchistes — savent bien que l’armée moderne est une armée de classe appelée à défendre la classe possédante. Mais, tandis que les socialistes prévoient, après la révolution, une nouvelle armée d’État ( « Armée Rouge » en Russie) qui, d’après eux, devra défendre les travailleurs, les anarchistes affirment que toute armée d’État défendra les privilégiés contre les travailleurs. Ils conçoivent la défense de la révolution dans des formes non étatistes, par les forces organisées des travailleurs, établies sur d’autres bases que celles d’une armée d’État.

Nous pourrions multiplier les exemples de ce genre, en parlant de l’éducation de classe, de l’enseignement de classe, de la science de classe, et ainsi de suite. Après tout ce qui précède, nous le tenons pour superflu.


Une objection est faite assez souvent aux anarchistes, surtout par les « communistes » autoritaires. Si ce ne sont ni le parti politique, ni le pouvoir politique, ni l’État ouvrier, ni la dictature du prolétariat qui guideront l’action, la lutte de la classe ouvrière, la révolution sociale, qui assureront leur succès, leur victoire et la solidité de celle-ci, qui sera-ce alors ? Quelles seront les forces, les éléments et les organisations qui mèneront au succès complet, toute cette lutte formidable, et compliquée des classes exploitées et opprimées ?

La réponse des anarchistes ne serait point difficile, surtout aujourd’hui.

Les forces et les éléments ? Mais ce seront, naturellement, les classes exploitées et opprimées elles-mêmes.

Les organisations ?… Il y a une quarantaine d’années, les anarchistes y répondaient : la lutte des classes et son point culminant et final : la Révolution, devant être l’œuvre de ces classes mêmes, celles-ci trouveront sûrement les formes de lutte appropriées et créeront certainement leurs organisations qui répondront aux besoins de l’heure. Aujourd’hui, cette prévision s’est déjà, en partie, réalisée. La réponse peut, donc, être plus précise encore : des travailleurs ont créé dans tous les pays leurs organisations de lutte et de combat : les syndicats révolutionnaires. Tout en n’étant pas sans défauts — comme, du reste, toutes les institutions humaines, à notre époque surtout, — et sans qu’on songe à réduire à elles seules toute l’action, toute la conduite de la lutte et de la révolution, les organisations syndicales sont les prototypes des organisations de classe appelées à prendre sur elles quelques tâches fondamentales de cette lutte et de cette révolution.

C’est le syndicalisme révolutionnaire qui, en dépit de ses quelques faiblesses naturelles, excusables et peu importantes, en dépit aussi de son recul momentané à la suite de la guerre et de ses conséquences, donne aux partis politiques une réponse concrète. Elle est celle-ci :

Ce ne seront ni les partis politiques, ni les groupements anarchistes qui mèneront la lutte de classe, l’action ouvrière, toute la formidable révolution à la victoire et au succès complet : ce seront les masses