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du marché de la production et des échanges. Les premières offensives furent dirigées contre les pays vaincus. Le mark et la couronne perdirent journellement des points. La spéculation réalisa des bénéfices formidables. L’Allemagne et l’Autriche furent littéralement vidées par le haut et le bas mercantilisme international, achetant, à l’aide de marks sans valeur tout ce qu’il était possible de revendre avec un bénéfice de mille pour cent dans les pays à change favorisé. Italiens, Français, Espagnols, Américains, Anglais, Belges, Suédois, Hollandais, Danois, Russes, Japonais, Chinois, et jusqu’aux Allemands eux-mêmes, tous les mercantis du monde participèrent, à la curée avec une égale frénésie. Cela aboutit à la ruine définitive et complète des Allemands et Autrichiens (1922–1925). Se voyant irrémédiablement compromis, les Allemands, de beaucoup plus puissants et conduits par des financiers habiles, surent exploiter cette situation désespérée, et ils réussirent à payer une bonne partie de leurs dettes en fabricant, intensément et aussi longtemps qu’ils purent les faire accepter, des billets sans valeur. Cela cependant n’alla pas sans provoquer des ruines innombrables, sans déterminer une crise économique effroyable, sans bouleverser de fond en comble le système des rapports sociaux établis, sans occasionner des misères terribles et des troubles dangereux. C’est lorsque ces troubles éclatèrent, et qu’ils jugèrent la situation trop critique, que les gouvernants allemands, soutenus par leurs anciens ennemis, décidèrent de rétablir une monnaie or afin de barrer la route à la révolution. Mais si le gouvernement allemand fut acculé à la faillite, l’Allemagne ne fut jamais ruinée. Ses richesses naturelles et industrielles avaient pris, pendant la crise, un essor considérable. Seuls, les petits épargnants, possédant quelques milliers de marks, se trouvèrent complètement ruinés après la banqueroute de l’État ; car les gros porteurs, très experts en la matière, avaient depuis longtemps mis leur avoir à l’abri. Ainsi on peut conclure que seuls, ces petits porteurs et les salariés qui, durant toute la crise, furent payés avec du papier sans valeur, supportèrent le poids des quelques centaines de milliards engloutis dans la catastrophe.

Contrairement à une opinion générale, les choses ne se sont pas passées partout comme en Allemagne. Non, une foule de petits États étaient trop faibles pour employer avec succès les procédés qui avaient réussi au Reich. Entièrement asservis au capitalisme international, la plupart de ces petits pays ne pouvaient tenter une restauration financière que dans la mesure où celle-ci servait les intérêts de ce capitalisme. C’est ainsi que l’Autriche ne put stabiliser sa couronne qu’avec l’appui d’un consortium de banquiers anglo-saxons créé à cet effet. Naturellement, de tels consortiums ne prêtent que contre des garanties de premier ordre, telles que l’exploitation des chemins de fer, des postes, monopole des tabacs, des allumettes, etc., etc., et cela, comme on le conçoit, ne va pas sans de sérieux désavantages pour l’ensemble de la population du pays qui doit accepter de pareilles conditions. Mais c’est là la rançon du capital et il faut la payer.

En 1926, d’autres pays, tels que l’Italie, la Belgique et la France, moins appauvris que l’Allemagne et plus puissants que les petits États qui ne peuvent sauvegarder leur indépendance, sont encore en pleine crise et à la recherche d’une solution satisfaisante. Le poids formidable de leur dette intérieure et extérieure, ajouté aux dépenses énormes qu’exige leur politique terriblement impérialiste, provoque une baisse continuelle et dangereuse de leur monnaie respective. A la suite de cette baisse, ces pays ont dû suspendre ou réduire leurs paiements. Cela n’a fait qu’aggraver la crise et

c’est la course rapide vers la ruine. Mais de quelle ruine s’agit-il ? Pas de la ruine définitive de l’État qui, même après sa faillite, saura encore trouver ses moyens d’existence, mais comme toujours de celle des petits porteurs et des salariés qui ne pourront recourir à aucun moyen efficace pour se garantir contre la dépréciation.

Cependant, pour sauver les apparences, des efforts sont tentés. L’Italie, pour stabiliser son change, a signé des accords avec ses principaux prêteurs. Aux termes de ces accords, elle doit, pendant plus de soixante années, rembourser intérêts et principal, ce qui représente, étant donné l’importance des dettes, une dîme terrible à prélever durant plus d’un demi siècle sur le malheureux peuple italien. De façon que le travailleur de ce pays devra, durant sa vie entière, payer au financier international, la redevance que jadis il payait au seigneur. Mais peut-on au moins dire que ces accords ont amélioré la situation passagère en réalisant la stabilité momentanée des changes ? Non, car d’ores et déjà, on peut affirmer que le sort de la lire reste lié à la politique du gouvernement et qu’elle ne se maintiendra que dans la mesure où celui-ci pourra contracter de nouveaux emprunts pour souscrire aux engagements pris ; car, malgré qu’il soit saigné blanc, le peuple italien ne peut, à lui seul, fournir à l’État toutes les ressources dont celui-ci a besoin pour équilibrer ses budgets. Le sort de la lire reste donc indécis. Sur ce point, comme sur tant d’autres, le gouvernement fasciste se montre aussi impuissant que n’importe quel autre.

En Belgique, ce sont les socialistes qui ont tenté la stabilisation de la monnaie nationale. Dans ce but, ils ont négocié et obtenu une garantie de cinq milliards or. Forts de cette garantie, ils décrétèrent que le billet de cent francs ne vaudrait plus que X, mais que désormais, il serait, comme avant 1914, remboursable en or. Et c’est à l’aide de ce procédé que, durant quelques semaines, on parvint à arrêter la dégringolade du franc belge. Mais au dernier moment, les banques devant avancer les cinq milliards or y mirent de telles conditions que celles-ci furent jugées inacceptables. Et le franc belge reprit sa course vers l’abîme. La crise économique déterminée par les fluctuations constantes du change n’était pas atténuée. La solution socialiste (si toutefois on peut l’appeler de ce nom), aboutissait au même fiasco que la solution fasciste. En proie aux mêmes difficultés, au moment même où ces diverses tentatives de restaurations financières échouaient si lamentablement, la France, au lieu de rechercher un remède à ses maux, reste complètement désorientée, mais, sans pour cela renoncer aux dépenses fabuleuses qu’exige sa politique impérialiste. Elle attend, et cela semble devoir lui suffire ; toutefois, cela ne suffit pas à ses créanciers qui réclament et savent exiger des comptes, en faisant baisser sa monnaie. C’est ainsi que la situation prend un caractère subit de gravité.

Le franc qui, depuis 1920, ne perdait du terrain que pied à pied, descend brusquement à trois sous sur les places les plus favorisées. La crise économique vient doubler la crise financière. Des impôts accablants et toujours insuffisants contribuent largement à la hausse précipitée des produits. En quelques semaines, la puissance d’achat des salariés et des petits rentiers diminue de moitié, et les patrons et l’État, ne voulant rien entendre pour augmenter salaires et pensions, l’état de misère générale augmente chaque jour. Partout, à l’usine ou dans la rue, chez le vendeur et chez l’acheteur, il n’est question que du prix de la livre et du dollar. Cela peut-il durer indéfiniment ? Non ; il faudra bien trouver une solution quelconque. Attendre encore devient impossible. Que fera-t-on ? Décrétera-t-on que