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opération comprend, d’une part, la perception des recettes autorisées, et, d’autre part, le paiement des dépenses prévues dans la mesure des crédits ouverts.

Les opérations budgétaires — recettes et dépenses — représentent, dans cette machine massive qu’on appelle l’Etat, le mécanisme financier. On en devine aisément l’exceptionnelle importance. En principe, les partis parlementaires qui se réclament du socialisme doivent refuser le vote du budget, tant pour s’affirmer d’opposition irréductible, que pour priver l’Etat capitaliste des ressources qui lui sont indispensables pour assurer le fonctionnement régulier de ses multiples services. Mais, bien que la plupart des Congrès socialistes aient enjoint aux élus du Parti de refuser le vote du budget, il arrive que, dans la pratique, cette prescription n’est pas respectée. Cette observation s’applique à la majorité des pays dans lesquels les forces socialistes au Parlement sont imposantes.

Chaque année, le vote du budget provoque des débats vifs et prolongés. Les représentants du Peuple discutent à perte de vue sur la nature et la quantité des impôts, ainsi que sur la nature et la quantité des dépenses que les impôts sont appelés à couvrir. La presse qui a pour mission de renseigner les contribuables se livre à des polémiques parfois passionnées autour de ce qu’on appelle l’assiette de l’impôt, qu’il serait irrévérencieux peut-être, mais équitable à coup sûr, de nommer l’assiette au beurre. Au fond et en réalité, ces polémiques de journaux et ces débats parlementaires sont pure — ou impure — comédie, destinée à amuser et à abuser la galerie et à détourner l’opinion publique de préoccupations plus graves et d’intérêts plus sérieux. Car, quelle que soit la forme de l’impôt, qu’il frappe directement ou indirectement le contribuable, il est certain que, par suite des incidences et des ricochets, des répercussions et des cascades, c’est, en dernière analyse, le travail qui, seul, produit et conséquemment, les travailleurs qui, seuls, assurent la production, créent, entretiennent et développent toutes les richesses, c’est le monde du travail, c’est la classe laborieuse qui, en fin de compte, toujours et quand même, assure à l’Etat la totalité des ressources dont il a besoin. Il se peut que le rentier, le propriétaire, l’industriel, le financier, le commerçant soient obligés, par la nature et le mode de perception de certains impôts et de diverses taxes, de verser directement au fisc des sommes plus ou moins élevées. Mais, dans ces sortes d’opérations, il y a toujours, comme le disait Frédéric Bastiat, « ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, ce qu’on montre et ce qu’on cache. »

Or, ce qu’on voit, ce qu’on montre, n’est qu’une apparence, une fiction ; la réalité, c’est ce qu’on ne voit pas, ce qu’on cache. Et, en matière d’impôt, ce qu’on voit, c’est le prélèvement exercé par le Trésor sur le revenu, sur la rente, sur la propriété bâtie, sur la terre, sur les opérations de finance, de commerce et d’industrie ; et ce qu’on ne voit pas, ce sont les mille moyens à l’aide desquels rentiers, propriétaires, financiers, commerçants et industriels, récupèrent, parfois largement, ce qu’ils versent au fisc, sur le dos et au détriment de la classe ouvrière qui, d’une part, assure toute la production et, d’autre part, forme la masse compacte et pour ainsi dire innombrable des consommateurs. Seul, le petit, tout petit contribuable, le pauvre, situé tout à fait en bas de l’échelle économique dont le bourgeois occupe tous les échelons au-dessus, supporte et casque l’impôt, tous les impôts, la taxe, toutes les taxes : ceux et celles qui frappent le riche comme celles et ceux qui frappent l’indigent. « L’assiette de l’Impôt » ? En vérité, je vous le dis, ô contribuables qui ne vivez que du produit de votre travail personnel et ne pouvez, ainsi, exploiter personne, il faudra, un jour la casser sur la tête des parasites. Tant que vous ne l’aurez pas

brisée et réduite en miettes, il n’y aura rien de fait et rien à faire : c’est vous, vous tous, producteurs, mais vous seuls qui permettrez aux Gouvernements d’équilibrer leurs budgets. (Voir Impôt, Taxe,. Dette publique. Grand Livre, Rente, Revenu, etc. — S. F.


BUREAUCRATIE. n. f. On entend par ce mot, l’esprit, le régime, l’influence abusive des bureaux (Lachatre) [Bureaucratie gouvernementale, bureaucratie administrative, bureaucratie législative, bureaucratie commerciale]. Un des rouages inutiles de nos sociétés modernes. Superfétation sociale asservissant des millions d’individus à un travail improductif.

La bureaucratie embrasse toute la superficie du domaine social, et est une plaie dont il sera extrêmement difficile de se libérer, car elle s’impose par un long exercice. Dénuée de toute logique, de tout jugement, elle ne s’appuie que sur des règles et agit en vertu d’une routine toujours ridicule et arbitraire. Elle s’embarrasse d’une quantité de futilités, de niaiseries, qui fatiguent ceux qui sont obligés d’y avoir recours ; par ses procédures et ses subtilités, elle retarde les actes les plus communs de la vie quotidienne.

La bureaucratie est la conséquence de cette fausse conception sociale, qui fait de la société une vaste entreprise commerciale basée sur le doit et avoir.

« Il ne faut point de formalités pour voler, il en faut pour restituer » (Voltaire). Comme la bureaucratie est attachée au service de ce capitalisme qui accapare tout et ne veut rien rendre, on comprend l’importance et l’étendue de cette institution. Qui donc, en notre siècle de journalisme, n’a entendu citer les cas de certains contribuables inondé de paperasses parce qu’ils se refusaient à payer les quelques centimes qui étaient « dûs » au percepteur ?

C’est surtout dans l’administration de la chose publique qu’elle exerce son influence, son autorité et ses ravages, et nuit aux intérêts de la collectivité. Inutile en soit, il faut qu’objectivement elle cherche à légitimer son existence. De là, sa lenteur et ses caprices. Puissante dans son organisation, elle est la source d’une gradation de pouvoirs, d’une hiérarchie imbécile et incorrecte, devant laquelle sont obligés de se courber tous ceux qui sont en bas de l’échelle sociale. On se brise devant sa force d’inertie qui entrave la marche en avant de l’humanité et l’on désespère souvent de venir à bout de cette soumission qui caractérise le bureaucrate et en fait un des êtres les plus nuisibles de la société.

L’inaction de la bureaucratie est légendaire, et a inspiré des maîtres de la littérature, tel Courteline qui, dans les « ronds de cuir » a brossé un tableau remarquable de ce qu’est l’Administration. Hélas, la forme ironique, maniée à merveille par Courteline, ne prête pas à rire. La bureaucratie, par ses méfaits, entre plutôt dans le cadre de la tragédie. Pas un jour ne se passe sans que nous subissions son étreinte. Elle nous accapare dès notre venue au monde, pour ne nous abandonner qu’après notre mort… et encore !…

Lorsque nous venons de naître, chose inerte et sans pensée, nous sommes immédiatement la proie de cette mégère, qui s’humanise sous la forme d’un officier ministériel attaché à la mairie du village, du canton, ou du quartier, et qui écoute d’un air indifférent et lointain les déclarations de votre père flanqué de ses témoins. — De votre père ? Cet homme n’est peut-être pas votre père ; il se peut que vous soyez l’accident d’une étreinte furtive et passagère ; les témoins ont été recrutés aux hasards de la route, même sous le porche du « respectable » édifice municipal ; qu’importe ? La société exige que vous soyez dûment enregistré, et la bureaucratie remplit ses devoirs. C’en est fait de vous. Vous êtes devenu sa chose, vous lui appar-