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ce jour-là où Ballivet assigna au syndicalisme sa vraie mission sociale.

L’année suivante, en 1879, le Congrès des Syndicats se tint à Marseille. Ce Congrès fut marqué par une forte offensive socialiste, du reste frappée de stupeur en relisant le programme qui fut révisé à cette occasion par Jules Guesde et Paul Lafargue. Il n’y est question que de l’égalité. En outre ; les adeptes n’avaient nulle action à effectuer pour aboutir. Ils n’avaient qu’à attendre tout de leurs députés. Il n’en est d’ailleurs guère autrement aujourd’hui. Il fallait, disait Guesde, organiser, le Prolétariat en parti politique distinct et conquérir la majorité du Parlement. Vieille rengaine de quarante-huit ! En attendant, quelques « lois sociales », le gouvernement réduisit à néant l’action du Parti socialiste auquel, d’ailleurs, les ouvriers n’adhérèrent pas.

Pendant ce temps, les diverses fractions socialistes se divisaient jusqu’à l’émiettement et c’est condamnées à l’impuissance qu’elles tinrent le Congrès de Saint-Étienne, en 1882.

Les syndicalistes socialistes, qui avaient divorcé avec les Pouvoirs publics, en 1876, rompirent avec les syndicats légalistes et « barbaristes ».

C’est alors que se dessine la deuxième phase de l’évolution du syndicat socialiste. Un programme nettement ouvrier fut élaboré sur le principe de l’opposition des classes.

En 1886, les syndicats sentirent le besoin de se fédérer pour se développer et agir avec succès. Pourtant, en dépit d’affirmations déjà anciennes, la Fédération des Syndicats fut, à ses débuts, une machine de guerre entre les mains du Parti ouvrier français. Son programme, son action s’en ressentirent et bientôt il apparut que les dirigeants de la Fédération voulaient surtout faire entrer dans le « Parti » l’armée réellement ouvrière.

Les attributions de la Fédération ne furent pas précisées. Les trois Commissions qui la composaient : propagande, publication d’un bulletin mensuel, statistique, ne firent aucun travail utile. La Fédération des Syndicats en groupes corporatifs français fut impuissante à créer des relations locales ou régionales entre ses syndicats. Elle resta sans moyens devant une tâche gigantesque. Les Congrès n’introduisirent aucun progrès dans l’ordre de l’organisation sociale de combat ; organisés dans la même ville, à la même date que les Congrès du Parti, ils n’avaient pour but, menés par les mêmes leaders, que de donner du lustre à ceux du Parti.

La Fédération était donc vouée à un échec rapide, à une dissolution certaine.

Deux circonstances hâtèrent sa fin : la naissance de la Bourse du Travail de Paris, la constitution de la Fédération des Bourses du Travail de France ; la résolution d’action directe et de grève générale du Congrès de Tours (4 septembre 1892).

En effet, l’année même que se constitua la Fédération des Syndicats, la Bourse du Travail de Paris naissait, le 5 novembre 1886, sur la proposition de Mesureur.

Bientôt, d’autres Bourses surgirent à : Béziers, Montpellier, Cette, Lyon, Marseille, Saint-Étienne, Nîmes, Toulouse, Bordeaux, Toulon, Cholet.

Cette formation des Bourses du Travail eut immédiatement pour résultat de nouer entre les organisations ouvrières de solides et permanentes relations, de leur permettre de s’entendre, par une éducation mutuelle dont l’absence avait jusqu’alors été l’insurmontable obstacle à leur développement et à leur efficacité, Grâce à la Bourse, les syndicats pouvaient s’unir, d’abord par professions similaires pour la garde et la défense de leurs intérêts professionnels, comparer avec

les ressources particulières de leur industrie, la durée leur labeur, le taux de leur salaire (et si cette durée était excessive et ce taux dérisoire), rechercher la valeur de leur force productrice ; ils pouvaient, en outre, se fédérer sans distinction de métiers pour dégager les données générales du problème économique, étudier le mécanisme des échanges, bref, chercher dans le système social actuel les éléments d’un système nouveau et, en même temps, éviter les efforts incohérents faits jusqu’à ce jour.

Outre le service fondamental du placement des ouvriers, toutes ces Bourses possédaient bibliothèques, cours professionnels, conférences économiques, scientifiques, techniques.

C’était, en moins de six ans, une véritable révolution qui s’était opérée. Une tâche énorme que ne soupçonnait même pas la Fédération des Syndicats, avait été accomplie.

L’idée de fédérer les Bourses du Travail devait inévitablement germer, et le Congrès de Saint-Étienne, le 7 février 1892, décida la constitution de la Fédération des Bourses du Travail de France, sur la proposition de la Bourse de Paris.

Il existait, à partir de cet instant, deux organisations corporatives centrales : l’une, la Fédération des Syndicats sans programme bien défini, sans organisation fédérative réelle, machine politique d’un parti, vouée pour toutes raisons à l’impuissance et à l’échec ; l’autre, la Fédération des Bourses du Travail de France possédait, au contraire, tous les éléments du succès. Outre qu’elle se composait d’unions locales vivantes, elle répondait à un besoin réel. Elle joignait à l’attrait de la nouveauté, l’avantage d’intéresser directement à l’administration et au développement des syndicats tous les syndiqués, de les obliger et de les aider à étudier les grandes questions économiques.

Rapidement les Bourses du Travail édifièrent sur le terrain économique un admirable système. En se communiquant entre elles les résultats obtenus, elles firent naître l’émulation et bientôt, profitant de l’inertie et de l’incapacité de la Fédération des Syndicats, à réaliser son programme économique par le jeu de l’action parlementaire, les associations ouvrières groupées dans la Fédération des Bourses cherchèrent sans trêve un moyen d’action qui, pourvu d’un caractère nettement économique, mit surtout en œuvre l’énergie ouvrière. Ce moyen fut soumis au Congrès de la Fédération des Syndicats en septembre 1892, à Marseille, par le citoyen Aristide Briand qui commenta le projet de résolution adopté à Tours quelques jours avant, sur la proposition de Fernand Pelloutier. (Voir à ce sujet l’histoire des Bourses du Travail, pages 116 et 117.)

L’idée de la grève générale comme moyen révolutionnaire était lancée. Malgré le magnifique exposé de Briand, le Congrès de Marseille, loin d’adopter la résolution de Tours, la repoussa, marquant ainsi publiquement et définitivement son désaccord avec les Syndicats. C’était, accentué, le divorce du Parti et des Syndicats. Il osa déclarer que la grève générale était une utopie et s’en tint à son vieux programme de collaboration et d’action parlementaire.

Malgré cette ex-communication ex-cathedra, la grève générale fit son chemin et en 1893, elle fut acclamée su Congrès tenu à Paris, après les incidents qui marquèrent la fermeture de la Bourse du Travail de Paris.

C’était un grave échec pour le Parti ouvrier qui décida de tenir son Congrès de 1894, à Nantes, avant le Congrès des Bourses. Malgré les efforts de Guesde, Lafargue, Delcluze, Salembier, Jean Coulet, Raymond Lavigne, les politiques furent durement défaits. Ce fut la fin de la Fédération des Syndicats.