Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/275

Cette page a été validée par deux contributeurs.
BOU
274

statistiques de la production, des salaires, des besoins, d’opérer le placement gratuit des travailleurs des deux sexes ; de leur permettre de se rendre d’une localité à une autre par le versement du secours de route (Viaticum).

Historique. — Pour étudier sérieusement l’histoire des Bourses du Travail, il est nécessaire de remonter assez loin en arrière, d’examiner le mouvement ouvrier français à la suite de la guerre de 1870-71.

Comme chacun sait, la Ire Internationale fut, pour des raisons multiples, dont quelques-unes, pour ne pas dire toutes, se retrouveront en 1914, impuissante à arrêter le déclenchement de la guerre franco-allemande. La séparation du Conseil général de l’Internationale, la dispersion de ses membres, eurent une profonde répercussion sur le mouvement ouvrier de tous les pays.

En France, le mouvement syndical se trouve, après la guerre, complètement démantelé. Il surgit cependant à nouveau dès 1872. À cette époque, se constitua le Cercle de l’Union ouvrière, qui avait pour but de relier solidairement les syndicats ouvriers et de faire contrepoids à l’Union nationale du Commerce et de l’Industrie, organisation patronale qui s’était, elle aussi, reformée aussitôt après la guerre. Barberet fut l’initiateur de ce Cercle de l’Union ouvrière.

Quoiqu’il se gardât bien de formuler des buts et moyens révolutionnaires, bien qu’il s’appliquât, au contraire, à mettre en évidence son action d’entente entre le patronat et le salariat, il n’en fut pas moins déclaré hors la loi et dissout en 1873. Malgré cette dissolution, il continua son action, en l’accentuant du fait de la persécution dont il était l’objet, et on rapporte qu’en 1875, il comptait 135 syndicats, dont un grand nombre étaient importants.

Après le Congrès de Bologne et le départ pour Philadelphie de la délégation ouvrière, il fut proposé de réunir à Paris, les travailleurs de Paris et de province, afin de mettre debout un programme socialiste commun. Cette proposition souleva l’enthousiasme des travailleurs. Le Congrès se tint à Paris, le 2 octobre 1876, Salle des Écoles, rue d’Arras. Y participèrent : Chausse, Chabert, Isidore Finance, V. Delahaye, Simon, Soëns, Barberet, Narcisse Paillot, Aimé Lamy, Jeltesse. La majeure partie était composée de coopérateurs et de mutualistes. On y remarquait cependant quelques collectivistes et anarchistes.

Le caractère du rapport d’ouverture suffira à montrer l’esprit qui animait les congressistes. Il disait : « Ce que nous voulons, c’est faire que l’ouvrier laborieux ne manque jamais d’ouvrage, c’est que le prix du travail soit véritablement rémunérateur, c’est que l’ouvrier ait le moyen de s’assurer contre le chômage, la maladie et la vieillesse… Nous avons voulu également, ajoutaient les rapporteurs, avec le Congrès, montrer à nos gouvernants, à nos classes dirigeantes qui se disputent et se battent pour s’emparer du gouvernement et s’y maintenir, qu’il y a dans le pays une fraction énorme de la population qui souffre, qui a besoin de réformes et dont on ne s’occupe pas assez.

« Nous avons voulu que le Congrès fût exclusivement ouvrier et chacun a compris de suite nos raisons. Il ne faut pas l’oublier : tous les systèmes, toutes les utopies qu’on a reprochés aux travailleurs ne sont jamais venus d’eux ; tous émanaient des bourgeois bien intentionnés sans doute, mais qui allaient chercher les remèdes à nos maux dans des idées et des élucubrations, au lieu de prendre conseil de nos besoins et de la réalité. Si nous n’avions pas décidé, comme mesure indispensable, qu’il fallait être ouvrier pour parler et voter dans le Congrès, nous

aurions vu la répétition de ce qui s’est passé à une autre époque, c’est-à-dire des faiseurs de systèmes bourgeois qui seraient venus gêner nos débats et leur imposer un caractère que nous avons toujours repoussé. Il faut qu’on sache bien que l’intention des travailleurs n’est pas de vouloir améliorer leur sort en dépouillant les autres. Ils veulent que les économistes qui ne se préoccupent que des produits et pour lesquels l’homme n’est rien, considèrent également l’homme en même temps que le produit : ils attendent de la nouvelle Science économique toutes les améliorations qui consistent dans la solution de la question sociale. »

À côté de bonne choses incontestables, que d’inexactitudes renferme ce document qui montre bien que le Cercle de l’Union ouvrière cherchait sa voie. Sa défiance envers la Ire Internationale y éclate également et si on ne peut dire que les 360 délégués étaient unanimement de cet avis, on n’en reste pas moins confondu lorsqu’on apprend que des hommes comme Varlin, de Paëpe, Émile Aubry, Albert Richard, Dupont, furent placés par le Congrès sur le même pied d’égalité que des politiciens comme Louis Blanc, alors qu’ils avaient professé et répandu les doctrines de l’Internationale.

Celle-ci n’en marqua pas moins fortement le Congrès de son empreinte. Sur la première question, le Congrès préconisa l’application du principe : À travail égal, salaire égal. Il recommanda la formation de syndicats féminins et demanda la réduction légale du travail à 8 heures sans diminution de salaires.

Il se dressa, par contre, contre la coopération dont il déclara l’action utopique et dangereuse. Il s’éleva contre les sociétés de secours mutuels qui ne donnent aucun moyen d’amener l’extinction du salariat, proclama-t-il. Il ajouta que ces sociétés sanctionnaient l’existence du salariat, et que ce qui devrait absorber ses pensées et ses actions, c’est d’ouvrir un débouché, en vue de notre émancipation économique. Il demanda enfin l’institution de caisses de retraites soustraites à la tutelle de l’État. J’avoue que toutes ces choses, malgré quelques graves erreurs d’appréciations, me trouvent moins sévère à l’égard de ce Congrès que ne se montra Fernand Pelloutier, dans son « Histoire des Bourses du Travail ».

Le Congrès eut encore à se prononcer sur un projet de loi déposé par Lockroy qui avait pour but de réglementer très sévèrement le fonctionnement des Chambres syndicales et de leur imposer des formalités draconiennes. Non seulement le Congrès n’accepta pas ce projet, mais il en demanda le retrait à l’Assemblée Nationale.

Aussitôt la fin du Congrès, une Commission de 62 membres fut nommée par les syndicats parisiens pour solutionner la question des Chambres syndicales. Elle se mit immédiatement à l’œuvre et tenta de reconstituer le Cercle de l’Union syndicale ouvrière. Le gouvernement s’y opposa. Après avoir tenté d’opposer un texte au projet Lockroy, qui fut d’ailleurs repoussé par les Chambres, il fut décidé de rester dans le statu quo, c’est-à-dire de se tenir en marge de la loi. Il en fut ainsi jusqu’en 1878, au Congrès de Lyon où se tint un second Congrès ouvrier. Il eut une très grande importance. Déjà, la lutte était ouverte entre les socialistes révolutionnaires et les syndicalistes de cette époque. En relisant le discours prononcé par Ballivet, des Mécaniciens de Lyon, on croirait presque que c’est hier que ces choses se passaient.

Je ne résiste pas au désir de rappeler ici la partie la plus importante de ce discours. Ballivet fut, lui-même, un précurseur de Pelloutier. Écoutons-le :