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expérimentés. Toute intervention sur les organes génitaux féminins comporte des risques d’hémorragie, d’infection, d’embolie consécutive, que nul ne cherchera à encourir inutilement.

Dès lors, devant le problème de l’avortement, la position de l’anarchiste apparaît très nette : ne jamais se mettre dans le cas d’avoir besoin d’y recourir, s’abstenir d’occasionner une grossesse dont l’arrêt violent recèle de gros dangers. Par définition, l’anarchiste est un homme soucieux du bonheur d’autrui comme du sien : sinon, en quoi se distinguerait-il d’un vulgaire bourgeois prêt à sacrifier la santé et même la vie des autres pour la satisfaction de ses intérêts et de ses plaisirs ? Sous le prétexte de ne diminuer sa jouissance érotique ni d’une minute ni d’un spasme, il n’a pas le droit d’exposer l’être aimé à une fécondation inopportune, non désirée, aux suites si graves ; au contraire, il a le devoir de faire le nécessaire pour garantir à sa compagne, une absolue sécurité sexuelle.

La République Soviétique de Russie a reconnu le droit à l’avortement, en a codifié la pratique et l’a confiée aux médecins des hôpitaux et cliniques qui, dans chaque cas particulier, déterminent la légitimité de l’intervention, réclamée soit pour des motifs pathologiques, tuberculose latente révélée et activée par la grossesse, syphilis avérée d’un ou des deux parents, vomissements incoercibles, albuminurie grave ; soit pour des motifs moraux, fécondation après viol, abandon par le séducteur, veuvage et misère. Une telle législation présente le gros avantage de soustraire une catégorie de malheureuses victimes de l’homme à la maladresse des empiriques, des opérateurs improvisés, et de leur assurer une assistance professionnelle compétente. Elle n’offre aucune utilité pour les libertaires qui, s’ils se trompent parfois, ne violent, ne séduisent, ni n’abandonnent personne.

Reconnaissant le droit à l’avortement comme à l’auto-amputation ou au suicide, mais sachant les dangers d’une intervention même médicale, l’anarchiste n’y expose jamais sciemment sa compagne. ― Dr Elosu.

Bibliographie. — Dr Klotz-Forest : De l’avortement. Est-ce un crime ?

Dr Darricarrère : Le droit à l’avortement (roman).

Dr J. Vidal : Le droit à l’avortement.

Drs Ribemont, Dessaigne et Lepage : Précis d’obstétrique.

Brouardel : L’avortement.

Médecine sociale (Tome XXXIII du « Traité de Pathologie médicale et de Thérapeutique appliquée ». Édit. Maloine). Article « Obstétricie sociale ». Dr Couvelaire.


AXIOME. n. m. On appelle axiome l’énoncé d’une vérité élémentaire que son évidence dispense d’une démonstration d’ailleurs impossible. Il ne faut pas confondre l’axiome et l’aphorisme. L’aphorisme est une formule sentencieuse qui condense un résultat de l’expérience ou une conclusion de la sagesse.

Lorsque le physicien analyse ou décompose la matière, il arrive ou croit arriver à cet élément primordial qui ne peut plus être divisé ni scindé et qu’il appelle pour cette raison, l’atome.

L’axiome c’est l’atome, avec cette différence qu’il n’est pas le terme ultime de la déduction ; il en est au contraire le principe ; toute science part de lui ; il est le germe d’où sort l’arbre, quelque multiples qu’en soient les branches, quelque abondants qu’en soient les fruits.

On le prétend indiscutable. Il est indiscuté.

Axiome philosophique. — Lorsque Descartes voulut édifier la certitude, il prit pour base de son échafaudage cette affirmation : « Je pense donc je suis. » De tout le reste, il avait fait « table rase ».

« Je pense donc je suis » n’est pas un axiome, puisque c’est déjà la résultante d’une déduction. La noblesse, la beauté littéraire de cette déclaration des droits de l’homme ont fait la célébrité classique de la formule, mais on a contesté au philosophe la justesse de ses prémisses. On a fait observer qu’il serait aussi vrai de dire : « Je mange, je marche, donc je suis ».

Cette critique serait exacte en même temps que malicieuse, si Descartes, dans cette équation, avait donné à « je pense » une amplitude qu’il n’a pas. La pensée dont il s’agit, n’est pas la pensée « organisée » et logicienne. Si diminuée, si faible ou si pauvre que soit son intelligence, un être perçoit une sensation ; il la rapporte à lui. Nous disons qu’il en a conscience. La jouissance n’étant, à son état rudimentaire, que l’absence ou la cessation de la souffrance, la première parole que pourrait prononcer l’homme sur lui-même, c’est « Je souffre donc je suis » ; la seconde : « Je jouis donc je suis. »

Dans le raisonnement de Descartes : « Je pense donc je suis » où donc est l’axiome ? C’est « je », c’est l’affirmation du moi.

L’homme proclame qu’il est un être, distinct de ce qu’il appelle le monde extérieur, distinct des autres hommes, distinct des choses, distinct de ce qui peut être retranché de lui sans que lui périsse. Il dit « mon bras, ma jambe », parce que, sans bras et sans jambes, il serait encore un être, un « moi », et il lui semble que si on lui arrachait le cœur, il garderait encore, dans ses derniers retranchements, sans pouvoir dire dans quels arcanes ignorés, une personnalité qui constituerait son individualité.

Nous verrons par la suite, quelles conséquences il faut tirer pour l’infaillibilité des axiomes, de ces données primitives. Quand on fait « table rase » il reste encore la table qu’on ne songe pas à démolir : l’exemple de Descartes est bien fait pour nous le prouver.

Axiome arithmétique. — La sagesse des nations la plus vulgaire et la plus courante traite de fou, par avance, l’homme qui entreprendrait de démontrer que deux et deux font quatre, ou, ce qui revient au même, que un et un font deux.

« Un et un font deux » a d’abord la valeur d’un renseignement grammatical ou de vocabulaire. En français, je dis « un » pour désigner la chose isolée, et je dis « deux » pour désigner la « paire » c’est-à-dire la réunion de deux choses identiques.

Une pomme et une pomme font deux pommes, même si la seconde est plus petite que la première ou d’une espèce différente. Je les juge l’une et l’autre identiques en ne considérant que leur nature de pomme.

Une pomme et une figue ne font ni deux pommes ni deux figues, mais font deux fruits ; je fais abstraction de leur forme, de leur saveur, de leurs qualités et de leurs propriétés différentes, et je les considère comme identiques, à titre de produits alimentaires naturels, fournis par l’évolution spontanée de la fleur.

L’axiome arithmétique combine avec l’axiome primordial « je » un corollaire, c’est : « tu ». Parce que je proclame que je suis moi, parce que je me déclare distinct de ce qui m’entoure, j’en conclus que ce qui m’entoure n’est pas moi. J’ai la perception d’un autre être, et j’ai, par mes sens, la notion que cet être est lui-même distinct du monde extérieur, moi compris. Il est « tu ». Il est identique à moi en ce sens qu’il est distinct, individuel par rapport à ce qui m’entoure et l’entoure.

Je suis « je » ; il est « tu ». Nous sommes deux. Nous pouvons nous réunir sans fusionner. Je puis dire « tu » à la plante, à la rivière, au rocher que leur cohésion propre et leur individualisme apparent me font considérer comme des êtres.