Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/182

Cette page a été validée par deux contributeurs.
ATT
181

que la Révolution sociale est en grand. Tout ce qui se passe dans l’âme des foules avant qu’elles ne se résolvent à s’insurger, toutes les phases que traverse la Révolution avant d’en arriver à l’heure de l’action décisive, tous les préparatifs, toutes les mesures, toutes les dispositions, tous les projets et tous les plans destinés à provoquer le soulèvement des masses et à en assurer le triomphe, reflètent fidèlement les diverses étapes par lesquelles, avant de se produire, passent les attentats individuels. Il serait donc profondément illogique d’exalter tout ce qui se trame et s’organise en faveur de la Révolution sociale et de condamner les projets que forme, les mesures que prend, les dispositions qu’adopte et le geste de brutalité et de violence qu’accomplit l’auteur d’un attentat.

Si la propriété est intangible, elle l’est en toutes circonstances et pour cent mille individus autant que pour un seul ; si la vie humaine est une chose sacrée, elle l’est en tout temps, et cent mille justiciers ou vengeurs n’ont pas plus qu’un seul le droit d’y attenter ; si la violence est toujours inexcusable, qu’elle soit le fait d’un grand nombre ou d’un seul, elle est condamnable dans l’un et l’autre cas. Toutes ces considérations me permettent d’affirmer que la saine et justicieuse raison s’oppose à ce qu’un partisan convaincu de la Révolution sociale soit un adversaire conscient de l’attentat par lequel un individu affirme qu’il lui est devenu impossible de se résigner et de traîner plus longtemps une existence que l’injustice, la misère et l’esclavage lui rendent intolérable.

Et j’ajoute : De deux choses l’une : ou bien nous nous gargarisons hypocritement du mot : « Révolution sociale » sans croire à la réalisation de celle-ci ; ou bien nous avons foi en la Révolution et nous vivons dans la certitude de l’avènement plus ou moins éloigné d’un milieu social de Bien-Être et de Liberté dont elle sera le point de départ. Dans le premier cas, nous sommes des imposteurs et nous ne valons pas sensiblement mieux que les abjects politiciens qui vantent, sans y croire, les bienfaits de la Monarchie, de la République, de la Démocratie, du Fascisme, de la Dictature, du Socialisme ou du Communisme.

Dans le second cas, il faudra bien ― nous devons en être certains ― pour que la Révolution se fasse, que toutes les victimes se lèvent, quelque jour, contre tous les bourreaux ; il faudra bien que le Capitalisme et l’État s’écroulent ; il faudra bien que s’accomplisse cet « Attentat collectif et décisif », attentat ayant pour objectif, et devant avoir pour résultat d’abattre non pas un fragment de l’édifice social, mais le monument tout entier ; de mettre fin non pas à une injustice partielle et de détail, mais à la grande, à la fondamentale Iniquité ; non pas de changer la forme du Gouvernement, mais d’anéantir tout Gouvernement et d’en ruiner les bases ; de procéder non pas à une expropriation partielle qui frapperait les uns et épargnerait les autres, mais à une restitution totale et à la mise en commun de toutes les richesses. Car la Révolution sociale ne sera pas autre chose que cet Attentat collectif et suprême.

Et, tandis que, par toutes les ressources d’intelligence et d’énergie qui sont en nous, nous travaillons avec une ardeur inlassable à préparer cet « Attentat » décisif que nous appelons « Révolution sociale », nous désapprouverions l’attentat individuel qui n’en est, théoriquement, qu’une reproduction en miniature et qui n’est, en fait, qu’une petite, toute petite escarmouche précédant la grande bataille ? Il ne peut en être ainsi. Un acte individuel, qui n’est, somme toute, que l’expression isolée de notre propre volonté de révolte, ne peut être frappé de réprobation par ceux qui, comme les anarchistes, proclament la nécessité

de la Révolution et s’affirment prêts et déterminés à y participer activement, passionnément.

Est-ce à dire qu’un libertaire doit conseiller, encourager, favoriser un attentat à l’accomplissement duquel il reste étranger et user de son influence pour y pousser ses compagnons de lutte ? Je ne dis pas cela et je ne le pense point. Je considère que, lorsqu’il s’agit d’une action qui engage, en quelque mesure que ce soit, la responsabilité d’un autre et, à plus forte raison, quand cet acte équivaut, pour celui qui l’exécute, à un véritable suicide, un libertaire doit s’interdire toute excitation ; car, s’il estime nécessaire ou simplement utile l’accomplissement d’un geste de cette gravité, il se doit d’en assumer lui-même la responsabilité, d’en courir les risques et d’en subir les conséquences. On a toujours le droit de disposer de sa liberté et de sa vie ; on n’a jamais le droit de disposer de celle d’un camarade, d’un compagnon de lutte.

Tant de racontars absurdes, tant de légendes saugrenues ont couru sur les attentats et, plus particulièrement, depuis un demi-siècle, sur les attentats anarchistes, qu’il m’a paru indispensable d’exposer tout ce qui précède. (Voir Complot, Propagande par le fait) L’énumération rapide et le tableau incomplet de ces attentats individuels ou collectifs apporteront à ceux qui seraient tentés de le croire en décadence la preuve que « l’Esprit de Révolte » est toujours bien vivant, en dépit de tout ce que les dirigeants ont mis en œuvre pour le tuer.

On ne sera pas surpris que, dans cette Encyclopédie, nous négligions quelque peu les multiples attentats qui, de tous temps, ont eu pour cause les haines et les vengeances engendrées par la cupidité et l’ambition. L’exécrable soif de l’or (auri sacra fames), et l’amour frénétique de la domination ont suscité entre les grands et les puissants de toutes les époques des convoitises féroces, des appétits sanguinaires et des rivalités sauvages qui, des milliers de fois, se sont exprimés par le meurtre. L’histoire fourmille de conspirations, d’attentats, de complots et d’assassinats dont les auteurs n’avaient point d’autre but que de s’emparer des richesses ou du pouvoir pour en jouir à leur tour.

Il est fatal que, pour dominer et s’enrichir, les ambitieux et les cupides ne reculent devant aucun crime. Les attentats de cette espèce ne sont pas ceux qui nous intéressent. Ceux qui nous intéressent, ce sont ceux qu’ont inspiré le sentiment exalté de la Justice, l’amour profond des damnés de l’enfer social et l’âpre passion de la Liberté.

On trouvera plus loin, sous la signature de L. Guérineau, la liste des principaux attentats ― individuels ou collectifs ― qui nous intéressent tout particulièrement, parce que presque tous se rattachent directement au mouvement révolutionnaire de ces cinquante dernières années, parce que la plupart ont été accomplis par des anarchistes, parce que l’immense majorité de ces attentats procède de cet « Esprit de Révolte, de Justice et de Liberté » qui est à la base et comme le fondement psychologique de l’action révolutionnaire luttant sans trêve ni défaillance contre les Puissances néfastes de « l’Esprit d’Autorité et de Domination ». Nous présentons ces innombrables attentats sous la forme d’une énumération rapide, dépouillée de tous commentaires. Nous estimons que ce sont des faits qui parlent, d’eux-mêmes, assez clairement pour que nous n’ayons pas à indiquer ici plus ou moins longuement et en détail la signification et la portée de chacun d’eux. Mais dans la deuxième et la troisième partie de cet ouvrage, nous y reviendrons et les attentats les plus marquants seront signalés à nouveau et, alors, expliqués et commentés, soit à propos de l’historique,