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ATH
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Le raisonnement d’Épicure, célèbre philosophe grec, est resté invincible. Le voici tel que nous le connaissons d’après la réfutation de Lactance, père de l’Église :

Le mal existe ; or de deux choses l’une :

1o Dieu sait que le mal existe, peut le supprimer et ne le veut pas… un tel Dieu serait cruel et pervers, donc inadmissible.

2o Dieu sait que le mal existe, veut l’empêcher et ne le peut pas… un tel Dieu serait impuissant, donc inadmissible.

3o Dieu ne sait pas que le mal existe… un tel Dieu serait donc aveugle et ignorant, donc inadmissible.

On ne voit pas d’autre hypothèse possible. Donc Dieu n’existe pas.

Les croyants se sont acharnés contre le dilemme d’Épicure. Ils veulent faire croire que le mal existe parce que le premier homme a désobéi en Eden et que ce mal sert à améliorer l’homme lui-même. Ce châtiment infligé à la descendance tout entière des coupables serait assez épouvantable pour faire douter de l’existence d’un Dieu si atroce. Mais tout souffre dans la nature ; tous les animaux, depuis les plus grands aux microscopiques souffrent de leur naissance à leur mort, les plantes elles-mêmes souffrent et périclitent, la nature brute elle-même n’échappe pas aux transformations et à ce que nous appelons la mort.

Les molécules, les métaux mêmes se transforment peu à peu, il y a donc souffrance partout. Un Dieu immuable et bon ne saurait exister. Il est vrai que des philosophes, comme le baron de Colins et ses disciples croient, à la suite de Descartes, que les animaux sont insensibles, que ce sont des machines. Cette théorie ne supporte pas l’observation exacte des animaux, et puis la machine elle-même ne se détraque-t-elle pas, de plus ne peut-on pas considérer le travail comme une peine ? Il est vrai qu’elle n’a pas de nerfs et de cerveau qui font que les êtres animés se rendent compte de la douleur, mais la matière se transformant, se gâtant est une preuve que le mal existe partout et pourtant les animaux n’ont pas mangé la pomme avec Ève.

Les scientistes chrétiens, qui ont tant d’adeptes en Amérique et aussi en Europe, prétendent que la souffrance n’est pas réelle, qu’elle est une conséquence de notre imagination. Ceux qui osent dire cela n’ont jamais visité les hôpitaux ni les asiles d’aliénés ; ils n’ont pas entendu les cris de douleur que poussent les malades, les blessés. Ces scientistes chrétiens n’ont jamais guéri de vraies douleurs, pas plus que les prières ou les visites aux lieux de pèlerinage ne le font. Quand l’auto-suggestion est terminée, les maux recommencent.

Le mal existe donc et un Dieu qui l’aurait créé, le sachant et le voulant est incompréhensible, impossible.

Si Dieu ne sait pas que le mal existe, la chose est encore plus absurde, cela ressemblerait au Dieu de la Bible qui ne sait pas ce qui se passe dans le paradis terrestre et est obligé de s’y promener pour voir ce qu’y faisaient les nouveaux époux. Ce serait comme Jupiter qui descend sur la terre pour juger des abominations qui s’y commettent et punit du déluge de Deucalion et Pyrrha les humains pour le crime du roi Lycaon.

Un Dieu comme celui de la Bible ou des Métamorphoses ne peut être admis que par des esprits bornés.

S’il y a un Dieu pourquoi y a-t-il tant de religions ? Les prêtres prétendent tous que leur Dieu est le seul vrai Dieu. Or, il y a une infinité de religions et de sectes qui ne croient pas au Dieu des autres religions. S’il y avait un Dieu, n’aurait-il pas fait en sorte que tous les humains le reconnaissent ?

Le Dr  Carret résume ainsi cette objection :

De trois choses l’une

1o Il y a un Dieu, ce Dieu a voulu se manifester aux humains et le nombre des religions prouve qu’il n’a pas réussi. Dans ce cas, Dieu est impuissant, donc inadmissible : tous les cultes sont absurdes et tous leurs dieux sont faux.

2o Il y a un Dieu : ce Dieu n’a pas voulu être connu de nous et ne se soucie aucunement de nos adorations. En ce cas, tous les cultes sont absurdes et tous leurs dieux sont faux, car aucun ne ressemble au Dieu réel.

3o Il n’y a pas de Dieu. En ce cas, tous les cultes sont absurdes.

Aucune autre supposition n’est possible.

Les athées se servent encore d’autres arguments pour combattre la croyance : l’impossibilité du libre arbitre ; l’inexistence d’une âme mortelle ; la différence entre la volonté et le libre arbitre, etc. Tout cela devra faire le sujet d’autres articles dans l’Encyclopédie.

Les Spirites qui se démènent tant à présent et dont beaucoup ne croient pas en Dieu, croient à la survivance de l’âme après la mort. L’Institut métapsychique de Paris et The Society for psychical research de Londres, cherchent à prouver cette survivance, mais toutes leurs expériences ne prouvent rien jusqu’ici et toutes les manifestations dont parlent les métapsychiques n’ont encore rien produit de convaincant. Nous pouvons admettre que l’âme n’est qu’une fonction du cerveau et qu’aussitôt que la mort survient, il n’y a plus d’âme et que les molécules du cerveau se désagrégeant, il ne peut y avoir d’immortalité.

Donc pas plus d’âme que de Dieu et le raisonnement d’Épicure reste inébranlable.

On a donné le nom d’épicuriens aux amis de la bonne chère. Sans être des ascètes, on peut aimer le bien, se dévouer à l’humanité, c’est ce que voulait Épicure. Il mettait le bonheur dans la satisfaction des besoins intellectuels et moraux.

Son disciple Lucrèce, dans son grand poème De Naturâ Rerum le fait bien comprendre.

Dans tous les temps, l’histoire a dû reconnaître la parfaite honnêteté des athées. L’antiquité a cité comme des modèles de vertu des athées comme Diagoras, de Milo, qui se rattachait à l’école de Leucippe ; Théodore et Evhémère, sortis de l’école de Syrène ; Straton de Lampsaque, Métrodoros, Plysemos, Hermachos, Polystratos, Basilides, Protarchos.

On peut aussi inclure parmi les athées toutes les écoles philosophiques grecques depuis Thalès (Anaximène, Anaxagore, Achellaos), jusqu’à Socrate qui fut condamné à mort sur une accusation d’athéisme. Parmi les athées, il faut comprendre Hérédité, Empédocle, Démocrite, Pyrrhon et toute l’école sceptique (Timon, A. Aenesidème, etc.) ; l’école stoïque (Zénon, Aristo de Chios, Cleantes, etc.).

L’athéisme a toujours été admis par les esprits éclairés de l’antiquité, mais l’établissement d’une religion officielle dans la plupart des États a empêché parfois l’enseignement de cette doctrine. Les gouvernements se sont toujours servi de leur autorité, et des persécutions pour écraser la terrible négation qui, du coup ébranlait toute religion et tout respect pour l’État.

Les athées étaient obligés, sous peine de mort ou de ruine, de mettre un frein à leur franchise. Montaigne, la Boétie, Charron, Giordano Bruno, Vanini étaient athées, mais ils n’osaient pas le proclamer et les deux derniers ont payé de leur vie les doutes qu’ils faisaient entrevoir sur l’existence de Dieu.

Au xviiie siècle, Helvétius, d’Holbach, d’Alembert, Diderot étaient des athées, Voltaire et Rousseau qu’on a souvent accusés d’athéisme étaient déistes, de même que Robespierre. Par contre, Marat, Babeuf,