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rent le renforcement de l’aile antiautoritaire, fédéraliste. C’était dangereux pour Marx et ses partisans. Alors, un jeu d’intrigues contre les fédéralistes commença et aboutit à la dissolution de la section alliée de Genève. Le siège du Conseil général se trouvait à Londres et était sous l’influence de Karl Marx. En 1870, il n’y eut pas de Congrès, à cause de la guerre. En 1871, le Conseil général convoqua, à Londres, une conférence fermée où furent invités et parurent surtout les délégués partisans de Marx et du Conseil général. Les Belges, les Espagnols et les Italiens penchaient, avec Bakounine, au fédéralisme. Les Jurassiens n’étaient pas présents à la Conférence. L’invitation fut faite de telle sorte que les partisans du Conseil général se trouvèrent en majorité. La conférence fut utilisée par Marx à rendre obligatoire, pour les membres de l’Internationale, l’action parlementaire rejetée par l’aile latine. Cela est arrivé par la mise aux voix et l’adoption de la résolution suivante :

« Vu que le prolétariat comme classe, ne pourrait se dresser contre la violence collective des classes possédantes autrement qu’en se constituant en un parti politique particulier, en lutte contre tous les vieux partis des classes possédantes ; que cette constitution du prolétariat en un parti politique est indispensables pour assurer le triomphe de la révolution sociale et de son but final : l’abolition des classes ; que l’union des forces des travailleurs, qui fut déjà atteinte à l’aide des luttes économiques, devra servir aussi comme levier pour les masses de cette classe dans leur lutte contre le pouvoir politique de leurs exploiteurs, — la Conférence rappelle aux membres de l’Internationale, qu’étant donné l’état de guerre où se trouve la classe ouvrière, son action économique et politique sont liées d’une façon inséparable. »

Conformément à cela, la puissance du Conseil général augmenta : il s’appropria un pouvoir autoritaire vis-à-vis des sections, dans le but de veiller sur la doctrine. L’aile latine, qui se dressait contre le centralisme et le parlementarisme, devait être muselée. De cette façon, un coin fut enfoncé dans « l’Internationale », qui, finalement, amena une scission directement provoquée par Karl Marx, au cinquième Congrès de La Haye, du 2 au 7 septembre 1872. Les partisans de Marx y disposaient de 40 voix, les fédéralistes, de 25 seulement. Cette proportion inégale de voix fut le résultat d’une machination de Marx. Il prit toutes dispositions pour que les délégués de l’Allemagne, où se trouvaient ses partisans, vinssent en nombre au Congrès. Ainsi, une majorité marxiste fut créée. Le Congrès de La Haye approuva les décisions de la Conférence de Londres ; la puissance du Conseil général augmenta encore ; l’article sur la nécessité de l’action politique fut introduit dans les statuts de « l’Internationale ». Le point de vue des fédéralistes, les jurassiens en tête, fut exposé par James Guillaume. Il précisa la différence entre les marxistes et les fédéralistes, en déclarant que les premiers cherchaient à conquérir le pouvoir politique, au moyen de la participation aux élections parlementaires, tandis que les seconds cherchaient à le détruire. Marx profita également de ce Congrès pour lancer des calomnies contre Bakounine, qui n’était pas présent. Une commission fut formée dont la majorité se composait des partisans de Marx, et qui prononça l’exclusion de « l’Internationale » de Bakounine, de Guillaume, de Schwitzguébel et d’autres encore. L’exclusion des deux premiers fut décidée, malgré la déclaration du président de la Commission, le délégué allemand Cuno, qu’il n’y avait pas de preuves matérielles contre les accusés. La minorité déposa, en la personne de Victor Dave, une déclaration disant qu’elle avait l’intention de défendre dans « l’Internationale », l’autonomie fédérale. Ainsi, les prétentions

injustes et autoritaires des marxistes amenèrent la scission dans « l’Internationale ».

Les fédéralistes organisèrent alors, à leur tour, un Congrès à Saint-Imier, le 15 septembre 1872, auquel participèrent tous les éléments antiautoritaires et fédéralistes de l’Internationale. Toute l’aile latine de cette dernière y était représentée, notamment les sections : jurassienne, italienne, espagnole, française et, de plus, deux sections américaines. C’est à ce Congrès que furent formulés les principes fondamentaux du mouvement ouvrier libertaire, qui peuvent servir au prolétariat révolutionnaire, aujourd’hui encore, comme indicateurs de route. Les résolutions sur l’action politique ainsi que sur les unions professionnelles et leurs tâches s’expriment de la manière suivante :

xxx« Considérant :

« Que vouloir imposer au prolétariat une ligne de conduite ou un programme politique uniforme, comme la voie unique qui puisse le conduire à son émancipation sociale, est une prétention aussi absurde que réactionnaire ;

« Que nul n’a le droit de priver les fédérations et sections autonomes du droit incontestable de déterminer elles-mêmes et de suivre la ligne de conduite politique qu’elle croiront la meilleure et que toute tentative semblable nous conduirait fatalement au plus révoltant dogmatisme ;

« Que les aspirations du Prolétariat ne peuvent avoir d’autre objet que l’établissement d’une organisation et d’une fédération économiques absolument libres, fondées sur le travail et l’égalité de tous et absolument indépendantes de tout gouvernement politique et que cette organisation et cette fédération ne peuvent être que le résultat de l’action spontanée du Prolétariat lui-même, des corps de métier et des communes autonomes.

xxx« Considérant :

« Que toute organisation politique ne peut rien être que l’organisation de la domination au profit d’une classe et au détriment des masses, et que le Prolétariat s’il voulait s’emparer du Pouvoir, deviendrait lui-même une classe dominante et exploitante ;

« Le Congrès, réuni à St-Imier, déclare :

1o Que la destruction de tout pouvoir politique est le premier devoir du Prolétariat ;

2o Que toute organisation d’un pouvoir politique soi-disant provisoire et révolutionnaire pour amener cette destruction ne peut être qu’une tromperie de plus et serait aussi dangereuse pour le Prolétariat que tous les Gouvernements existant aujourd’hui ;

3o Que, repoussant tout compromis pour arriver à l’accomplissement de la Révolution sociale, les prolétaires de tous les pays doivent établir, en dehors de toute politique bourgeoise, la solidarité de l’action révolutionnaire. »

Autre résolution :

« La liberté et le travail sont la base de la morale, de la force, de la vie et de la richesse de l’avenir. Mais le travail, s’il n’est pas librement organisé, devient oppressif et improductif pour le travailleur ; et c’est pour cela que l’organisation du travail est la condition indispensable de la véritable et complète émancipation de l’ouvrier.

« Cependant, le travail ne peut s’exercer librement sans la possession des matières premières et de tout le capital social ; il ne peut s’organiser si l’ouvrier, s’émancipant de la tyrannie politique et économique, ne conquiert le droit de se développer complètement dans toutes ses facultés. Tout État, c’est-à-dire tout Gouvernement et toute administration des masses populaires, de haut en bas, étant nécessairement fondé sur la bureaucratie, sur les armées, sur l’espionnage, sur le clergé, ne pourra jamais établir la société organisée sur