Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/151

Cette page a été validée par deux contributeurs.
ASS
150

dégoût instinctif, le mépris irraisonné et une inconsciente répulsion qui va, parfois, jusqu’à la haine, de la pauvreté en haillons, du taudis qui pue et de la main sale qui sollicite un secours.

Le temps n’est plus — a-t-il véritablement existé ? — où l’opulente châtelaine, payant de sa personne, apportait au chevet du malade la grâce de son sourire, passait ses doigts fuselés dans les cheveux embroussaillés de la marmaille, s’inclinait avec respect devant le fauteuil où le vieillard indigent reposait ses membres rendus infirmes par un demi-siècle de travail opiniâtre et ne quittait pas l’humble chaumière ou le modeste logis, sans y oublier discrètement sa bourse. Le temps n’est plus où ces générosités matérielles s’accompagnaient d’un geste affectueux, d’une parole sortie du cœur, d’un regard compatissant et tendre qui faisaient aux secourus autant de bien que l’aide elle-même.

De nos jours, l’Assistance a revêtu d’autres formes ; le cœur des enrichis s’est lentement pétrifié : il y a trop de distance entre ceux qui ont tout pris et ceux qui se sont laissé tout prendre, pour qu’un contact s’établisse entre les uns et les autres.

L’Assistance est devenue un service public ; son fonctionnement exige des rouages de plus en plus nombreux et compliqués. Enfants abandonnés, vieillards sans ressources, malades sans soins, femmes en couche, justiciables sans défense, que sais-je encore ? Dans tous ces cas, c’est l’Administration qui intervient. Rigide, sévère, officielle, réglementée, parcimonieuse, méfiante, hautaine, sournoise, paperassière, hiérarchique, chicanière, exigeante, rapace, inquisitoriale, tatillonne, encombrante, l’Assistance a tous les défauts de la bureaucratie (voir ce mot).



Suit une étude technique et d’ensemble sur l’Assistance. Les mots enfants assistés, femmes en couches, hôpitaux, hospices, orphelinats, soins médicaux gratuits, vieillards assistés à domicile (voir ces mots), nous fourniront l’occasion d’initier le lecteur au fonctionnement pratique de ces divers services qui, tous, relèvent de l’Assistance. (Voir aussi les mots « Bienfaisance », « Charité », « Philanthropie ».)

Pour mettre fin à ces quelques considérations qui servent d’introduction aux exposés documentaires qui, chacun à sa place, se suivront, je crois utile d’insister sur le caractère véritable de l’Assistance : un observateur superficiel pourrait croire que l’organisation de l’Assistance part d’un généreux esprit de solidarité, d’un sentiment élevé de bonté et d’une conception exacte de la morale. Il n’en est rien, et celui qui se laisserait prendre à ce point aux apparences, serait la victime d’un bluff grossier. L’organisation sociale de l’Assistance est tout simplement le fait d’un milieu social inhumain, dont elle a pour but de réparer, dans une faible et insuffisante mesure, les cruelles et injustes inégalités. L’idée même de faire assister — et combien mal et si froidement ! — les déshérités par les privilégiés, ne peut être que la conséquence d’une société comme la société capitaliste où les uns regorgent de superflu, tandis que d’autres sont privés de l’indispensable. Bien plus : l’Assistance est un moyen incomparable de tenir en servitude et en résignation, les infortunés qui, s’ils étaient inexorablement abandonnés à leur sort lamentable, ne tarderaient pas à se réfugier dans la révolte. Grâce à des secours illusoires et dérisoires, secours qui ne transforment pas leur situation et ne font que la perpétuer, les malheureux supportent passivement l’injustice de leur condition. L’Assistance est une aumône que la Société abandonne à ses victimes pour éviter la restitution qui leur est due.

C’est l’os qu’elle jette aux loups affamés dont les crocs pourraient se montrer par trop menaçants. — Sébastien Faure.


ASSISTANCE PUBLIQUE. L’Assistance publique n’est que la forme légale étatiste de la charité et de la bienfaisance privée. L’État, en la circonstance, n’a fait que codifier celle-ci.

Dans les temps antiques où, seul l’homme libre comptait, l’assistance n’existait pas. La classe la plus nombreuse, le peuple, était condamnée à vivre et mourir dans l’esclavage, elle n’avait même pas le droit de vivre, puisque le maître disposait à son gré de son esclave.

C’est avec le christianisme des premiers chrétiens qu’est née l’assistance, sous forme de charité.

Elle se manifesta à cette époque, par la création des diaconies, puisque les diacres avaient pour mission, sous la direction des évêques, de visiter les pauvres, les malades, et de recueillir l’argent destiné à les secourir et de distribuer des secours à domicile. Au début, ils furent aidés dans leurs fonctions par des veuves et plus tard par des vierges, qui, sous le titre de diaconesses, se chargeaient de visiter les femmes pauvres et malades. Cette assistance était limitée aux seuls chrétiens. C’est ainsi que les diaconies furent les premiers établissements de bienfaisance, fondés par les chrétiens, ceux-là d’abord peu nombreux augmentèrent, lorsque le christianisme devint, sous Constantin, une religion d’État. Cela explique pourquoi, présentement encore, la plupart des établissements hospitaliers, qui portent administrativement le nom générique d’établissements charitables ont un personnel congréganiste et sont en quelque sorte sous la férule des religieux.

Avec le Moyen-Âge, époque de foi ardente, où le clergé était tout puissant et où l’on vit peu à peu se transformer la société des premiers chrétiens et renaître l’esclavage sous forme de servage, elle disparut. Tout en se disant chrétien, c’est-à-dire, disciple d’une religion qui exalte les petits, qui fait du pauvre et du déshérité de la vie un frère, on trouvait très juste et très naturel l’asservissement du pauvre par la domination absolue du riche. Cela amena en quelque sorte la disparition de l’assistance. Elle n’avait plus sa raison d’être du fait que ceux qui avaient besoin d’être assistés appartenaient à un maître. Il appartenait à celui-ci d’en prendre soin au nom de ses propres intérêts.

C’est ainsi que l’on trouve dans un capitulaire de Charlemagne, édité en 809 : « Les comtes prendront soin de leurs pauvres ; chacun doit nourrir son pauvre ; c’est une obligation ; c’est une obligation attachée à la jouissance du bénéfice et du domaine ».

Cependant, les auteurs signalent qu’à cette époque, la plupart des monastères distribuaient souvent des secours, ce qui pourrait faire croire à une sorte d’assistance. Tout porte à croire que ces secours se réduisaient à l’hébergement des voyageurs et des pèlerins ou encore à la distribution des aumônes aux serfs infirmes ou trop vieux pour travailler, et qui résidaient sur les terres dépendant des monastères.

Avec les croisades, se manifesta un profond changement de cet état de choses. Les seigneurs emmenèrent leurs serfs pour combattre sous leurs ordres. Ces derniers ne tardèrent pas, par la force des choses, à devenir libres. D’autre part, les croisades furent pour beaucoup de seigneurs une entreprise financière ruineuse. Beaucoup de serfs purent conquérir leur liberté en donnant à leur maître le pécule qu’ils avaient péniblement amassé.

Les rois trouvèrent dans cet état de chose une excellente occasion pour fortifier leur autorité aux dépens de celle des grands vassaux, ils favorisèrent la liberté des