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Certains grands se font, au besoin, une solitude dans la foule, à force d’indifférence. Descartes se sent également seul et libre d’esprit parmi l’agitation d’une vie de marchands ou « dans son poêle ». Mais celui qui travaille vraiment dans la foule, avec les pensées et les habitudes de la foule, ne peut que répéter du déjà dit et, comme on parle dans les lettres avec une modestie inconsciente, donner de la copie. L’artiste sort de la solitude dès qu’il manque de matière à œuvrer ou de l’air pour œuvrer ; dès qu’il sent, à certain grincement de son travail, qu’il fonctionne à vide. La lecture est une des façons les plus efficaces de sortir de la solitude.

La comédie humaine ne présente guère des dénouements de justice. Le génie n’a pas plus que la sagesse la naïveté d’espérer les récompenses extérieures. Il s’étonnerait plutôt qu’on lui permette presque d’exister, qu’au lieu de le tuer d’un coup on se contente indulgemment d’essayer de l’affamer. Il se débrouille à côté, en souriant, et ne cherche point à se vendre. Et il admire de n’être pas tout à fait écrasé par la haine et la jalousie du milieu. Quel que soit le milieu où il vit.

De grands artistes ont obtenu le succès immédiat : ils avaient des parties basses et banales. Ce qui leur donna le succès nuit à leur gloire. Le succès immédiat résulte nécessairement d’un accord entre un talent et son milieu. Le talent est médiocre qui se trouve naturellement adapté à la médiocrité de n’importe quel milieu.

« Le génie est une longue patience », dit Buffon. Il dit plus et mieux qu’il ne croit. Il sait combien cette patience est joyeusement active ; il ignore combien elle est réfractaire aux réactions hostiles du milieu. Un secret du grand artiste c’est de ne jamais se soucier de l’opinion contemporaine.

Nos désappointements viennent d’une mauvaise équation entre nos désirs et les renoncements voisins dont il faut payer leur satisfaction. Le véritable artiste a épousé le temps contre son temps. Il préfère les siècles à son siècle, toujours à maintenant, l’univers à sa patrie, la beauté à la vente et aux honneurs. Dans la réalisation même de l’œuvre, il sait les renoncements nécessaires il écoute bien des détails ingénieux et brillants ; il efface parfois à demi et atténue ; le secondaire qu’il ne supprime point, il le subordonne et le fait servir à l’unité. Mais l’unité qu’il cherche a toutes les souplesses de la vie, non la rigidité géométrique ou cadavérique.

Il est des sacrifices à quoi ne consent point l’artiste, ce grand sacrificateur. L’harmonie est trop imparfaite si l’on sacrifie l’idée à la forme ou la forme à l’idée. Idée et forme, deux fantômes, dès qu’on les sépare, et que disperse un jour de soleil ou de vent. Unis d’une étroite épousaille, voici qu’ils prennent la densité de l’éternel. — Han Ryner.

ART. L’art est une des plus nobles manifestations de l’esprit humain. L’art sincère et désintéressé, bien entendu.

Certains diront que seules les choses utiles ont droit à une place sous le soleil et ils énonceront l’inutilité de l’art. Ils ont tort, à mon avis. Mais auraient-ils raison qu’il faudrait se souvenir que le superflu est parfois beaucoup plus indispensable au bonheur de l’homme que le nécessaire.

Aussi loin que l’on remonte on peut constater l’existence de l’art. Il suffit d’examiner les vestiges des civilisations mortes pour constater l’importance grande qui lui fut toujours accordée. Chez les peuplades les plus sauvages on retrouve un art rudimentaire sans doute, mais un art tout de même, qui s’applique à de grossières décorations.

L’homme, d’où qu’il vienne, a plus ou moins besoin d’enjoliver ce qui lui paraît fruste et de recourir à l’artifice des évocations. Quel que soit son degré de sensibilité, il a besoin de bercer sa peine ou son ennui. Et il fait appel à l’art, sous une quelconque de ses formes.

Le but de l’art devrait donc être éminemment humain.

Il ne l’est pas toujours.

Certains artistes se sont éloignés des horizons larges qui leur étaient ouverts pour se calfeutrer en des formules parfois ingénieuses mais souvent mesquines. Ne leur jetons pas la pierre trop facilement. Leur attitude a presque toujours été la conséquence de l’incompréhension du « public ». Ce dernier, absorbé par une quotidienne lutte, animé par les contraintes, aveuli par les dictatures, écrasé par son joug, ce dernier, dis-je — le peuple — était trop las pour se passionner aux choses de l’art. Sa curiosité était éteinte.

Il ne pouvait répondre aux efforts des artistes que par l’indifférence ou la goguenardise. Il ne comprenait plus et ne voulait pas essayer de comprendre. Lorsqu’il avait besoin d’art — quand même — il trouvait toujours des affairistes pour lui donner brouet à son goût — son piteux goût. L’inévitable réaction s’est produite : de vrais artistes, désintéressés autant que sincères, ont clos leur art dans des chapelles.

Tout le monde y a perdu.

Mais le peuple ni l’art n’ont dit leur dernier mot.

Un jour viendra bien où l’idole Autorité s’écroulera. Car il n’est pas œuvre d’idole que la volonté tenace et lente des siècles n’ait abattue. Toutes y passent à leur tour. Les Dieux ont parfois la vie longue, mais ils meurent quand même, comme les hommes, un beau matin.

Lorsque les jours ne seront plus, pour le peuple, des boulets à traîner ; lorsque les plus humbles pourront initier leur corps et leur esprit à la douceur des haltes, naîtra alors un art nouveau. Un art aussi large que le ciel des campagnes, aussi profond que le désir humain. Un art vibrant et souple comme une chair féminine. Un art clair et frais comme une eau de fontaine. Et auquel des privilégiés ne seront pas seuls à pouvoir goûter.

La beauté n’est pas dans des formules, mais dans la vie.

Pour connaître la beauté, il faut vivre, pleinement, intensément. C’est parce que le peuple ne vit pas qu’il demeure étranger à l’art. Et c’est parce que les artistes ne vivent pas que leurs œuvres sont pâles et pauvres. Du sang dans les artères, de l’air dans les poumons, du soleil dans les yeux, et tout le reste vous sera donné par surcroît…

Quelles seront les règles de l’art de demain ? Je ne sais et peu me chaut. Une belle femme peut s’habiller de mille façons, elle restera toujours belle — si réelle est sa beauté.

Attendons. Ou, plutôt, apprenons à vivre. Tout est là.

Georges Vidal.

ART. (vient du latin, artem, suivant le Dictionnaire Hatzfeld, Darmesteter et Thomas, ou ars, artis, suivant le Dictionnaire Larousse. La racine ar serait, soit une contraction du grec areté (vertu, mérite, force), soit un produit du radical sanscrit kar (faire) qui aurait laissé ar par la disparition, observée aussi dans d’autres mots, de la gutturale k. La deuxième explication rend mieux compte de la signification que le mot ars avait originairement et qui était celle d’industrie, d’habileté manuelle.)

Pour les Latins, l’art c’était d’abord le faire, c’est-à-dire, suivant sa définition la plus générale donnée aujourd’hui : « le moyen par lequel on réussit à faire quelque chose » (Hatzfeld). On a dit, ensuite, en commençant à limiter le domaine de l’art, qu’il est « la