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l’ouvrage des siècles. Le temps est l’architecte, l’homme le maçon. »

Nous venons d’assister à Paris à une manifestation intéressante. L’Exposition des Arts Décoratifs a révélé dans l’architecture, non pas un nouveau style, mais un effort considérable dans la façon de construire, de décorer et d’ornementer. Tout en s’inspirant de la ligne quelque peu germanique où le style roman très dégénéré offre au regard la lourdeur de ses lignes, les seules qui soient possibles à une époque où le fer et le ciment arment les édifices, les architectes sont arrivés à une unité de conception que les terribles difficultés financières leur ont imposée. Matériaux, main-d’œuvre, construction et décoration extrêmement difficultueux, des édifices ont surgi en quelques mois et par un ensemble parfait ont donné une note accueillante et proportionnée à l’effort. Rien de nouveau n’est sorti du goût actuel, seul un esprit pratique a présidé à l’édification de monuments provisoires, mais il faudra aux écoles une profonde révolution de mœurs et d’idées pour rénover un art qui depuis plus de deux cents ans est tombé en décadence.

Doit-on concevoir que dans la société future l’architecture reprendra une situation plus en rapport avec les circonstances et les besoins ? Certes oui, l’espérance en est possible et les temps meilleurs amèneront des perturbations profondes dont surgiront de meilleures architectures.

L’histoire de l’architecture est aussi ancienne que l’histoire de l’humanité avec laquelle assez exactement elle se confond.

Aucun des monuments édifiés par les civilisations modernes ne dépasse et n’égale les architectures antiques tant par la forme que par la grâce et la beauté.

Examinons les monuments impérissables de l’antiquité et comparons-les aux monuments construits depuis vingt siècles et nous constaterons la dégénérescence de nos architectures, nous nous inclinerons devant la pauvreté, sinon des lignes, du moins de l’ensemble des édifices. Commençons par l’architecture hindoue :

Dans les villes des bords du Gange, de l’Inde Centrale où s’épanouit une civilisation si brillante, les rois rivalisaient à qui élèverait les temples les plus somptueux en l’honneur des grandes divinités.

Pendant des années et parfois même des siècles, des milliers d’ouvriers creusent sur plusieurs centaines de mètres d’étendue, les parois d’une montagne, y découpent des salles immenses et décorent la pierre de statues, de fleurs, d’animaux pressés en groupe, ou bien, d’un bloc monolithe ayant les proportions d’une colline, ils tirent un temple aux formes massives, aussi fouillé de sculptures qu’un ivoire japonais, tel le rocher sculpté et temple de Mahavellipore, aux environs de Madras.

Le temple hindou est une synthèse de l’univers. Le lieu où il s’élève, son orientation, sa forme générale et le moindre de ses détails ont une signification réelle et symbolique. Hollebecque nous apprend que la pensée des diverses époques, les mœurs, les croyances et cette tonalité particulière de l’imagination hindoue sont inscrites sur chaque fragment de la pierre ; et là où nous ne possédons aucun renseignement sur les idées générales et la vie journalière, nous les reconstituons à l’aide de ces grands poèmes architecturaux où chaque pilier, chaque bas-relief nous raconte l’effort du peuple hindou pour exprimer son idéal.

« Le temple est orienté vers l’Est ; afin que la divinité immobile, qui médite sur l’autel du sanctuaire, puisse faire face au soleil levant dont elle est, presque toujours, une incarnation. Souterrain formé de salles

immenses soutenues par des allées de colonnes que surmontent des milliers de sculptures, le temple a l’aspect de la forêt himâlayenne, touffue, impénétrable et sombre. Mais ses nefs, ses statues taillées dans la muraille prennent une direction unique : à travers les ténèbres opaques, elle mènent vers le dieu qui concentre en lui tous les attributs — (la Trimûrté ou le Bouddha selon le culte en honneur) — image de l’ordre et de l’harmonie universels, et que l’homme atteint après d’infinies recherches. Édifié sur le sol, le temple prend le plus souvent la forme d’une pyramide, haut dressé vers le ciel, comme les cimes des montagnes, ou échelonnée par degrés comme la hiérarchie des êtres vivants qui va de l’insecte au dieu suprême, en parcourant toute la série des formes que l’âme épouse au cours des transmigrations.

Mieux encore que la structure architecturale, la décoration du temple en marque la signification essentielle. Frontons, narthex, culs-de-lampe, chapiteaux, colonnes, balustrades, voûtes, murailles et ces portes aux lignes pures… rien n’est dédié au vide ou au repos. Fouillée, ciselée, ornée en ses moindres parties, la pierre ne constitue pas, comme dans le temple grec, par sa nudité et l’apparence de ses lignes, un élément nécessaire à l’impression d’ensemble. Tout est mouvement, confusion, excès, comme si l’artiste voulait imposer aux fidèles, à l’aide de sensations multiples, la croyance aux transformations incessantes des choses, à l’infinité des phénomènes se transmuant sans relâche les uns dans les autres. La vie et la mort, la sensation et la pensée, la luxure et l’ascétisme ne sont que des formes apparentes par où s’exprime le principe éternel de l’Univers, le grand Tout, qui domine sur l’autel ou au faîte de l’édifice. Débauche d’ornementation où les pensées, les styles, les symboles en se mélangeant convergent secrètement vers l’unité.

Force, abondance, recherche des propositions excessives et de la multitude des détails auxquels on sacrifie les lignes et la composition générale ; union de l’architecture, de la sculpture et de la peinture qui, appelées à concourir ensemble au même but, ne se conçoivent pas comme des moyens d’expression artistique indépendants, tels sont les caractères essentiels de l’art hindou, religieux par excellence, mais représentatif d’idées coordonnées et de symboles d’une grande diversité.

Les plus anciens monuments de l’Inde ne remontent pas au-delà du ive siècle avant notre ère, à une époque où l’architecture a atteint sa perfection dans la plupart des civilisations antiques et où, pour certaines, elle entre en décadence.

Les premiers sont dédiés au culte bouddhique, creusés dans des parois de montagnes, ils donnent l’impression d’un travail formidable, poursuivi durant des centaines d’années par des milliers d’ouvriers.

Le plus souvent, le temple est précédé d’une véranda en pierre, — sorte de narthex — soutenue par des piliers taillés dans le roc ; de chaque côté se dressent des sculptures colossales ; armées d’éléphants comme à Karli, lions et divinités triples comme à Éléphanta.

La façade du temple est couverte de bas-reliefs et de statues et s’ouvre, sur l’intérieur, par trois portes surmontées d’un arc en forme de fer-à-cheval, qui se répète sur l’immense ouverture creusée au-dessus des portes et par où pénètre la lumière.

Les salles souterraines, dont le nombre varie de 2 à 30, sont plongées dans une ombre épaisse. Des colonnes de 6 à 8 mètres de haut les soutiennent, formant allées ; leurs fûts montés par des cavaliers (Karli). Au fond, une statue colossale de Bouddha, de plusieurs mètres de haut, assise ou debout sur un immense dagoba (autel), brille dans l’ombre (Ellora) entourée de personnages (Ajânta). Les piliers et les plafonds