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LE GOLFE SAINT-LAURENT.

hommes, à qui ils donnèrent un aumônier et des provisions de vivres pour aller passer l’hiver dans cet endroit, afin qu’au printemps ils tirassent tout ce qu’ils pourraient. Ils partirent en 1711 et revinrent en 1712, au mois de juin, avec cinq bâtiments chargés. Ils trouvèrent un spectacle dont le récit fait horreur : plus de 2,000 cadavres nus sur la grève qui avaient presque tous des postures de désespérés : les uns grinçaient des dents, les autres s’arrachaient les cheveux, quelques-uns étaient à demi-enterrés dans le sable, d’autres s’embrassaient. Il y avait jusqu’à sept femmes qui se tenaient par la main et qui apparemment avaient péri ensemble. On sera étonné qu’il se soit trouvé des femmes dans ce naufrage. Les Anglais se tenaient si assurés de prendre ce pays qu’ils en avaient déjà distribué les gouvernements et les emplois : ceux qui devaient les remplir emmenaient leurs femmes et leurs enfants afin de s’établir en arrivant. Les Français prisonniers qui étaient dans la flotte, y en virent quantité qui suivaient leurs pères ou leurs maris, et grand nombre de familles entières qui venaient pour prendre habitation.

« La vue de tant de morts était affreuse, et l’odeur qui en sortait était insupportable ; quoique la marée en emportât tous les jours quelques-uns, il en restait assez pour infecter l’air. On en vit qui s’étaient mis dans le creux des arbres ; d’autres s’étaient fourrés dans les herbes. On vit les pistes d’hommes pendant deux ou trois lieues, ce qui fit croire que quelques-uns avaient été rejoindre plus bas leurs navires. Il devait y avoir de vieux officiers ; car on trouva des commissions signées du Roy d’Angleterre, Jacques II, réfugié en France dès