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LE GOLFE SAINT-LAURENT.

à un champ de pommes de terre que la bêche du jardinier viendrait de rechausser.

Le Rocher-aux-Oiseaux est un des nombreux endroits du golfe Saint-Laurent, où il ne faut pas trop flâner. Il n’est permis aux navigateurs de s’en approcher, que lorsque les vents dorment ; et sous pareille circonstance, pas n’est besoin de dire que nos chaloupes n’avaient pas mis grand temps à quitter leurs porte-manteaux. Bientôt, nous mettions le pied sur une étroite lisière de grève, composée d’une série de blocs erratiques, que la mer dans ses jours de fureur, a roulés aux pieds des falaises roussâtres de l’île. Malgré le calme plat qui nous entourait, un assez fort ressac se faisait sentir au rocher. L’épaule herculéenne du lieutenant LeBlanc nous prêta son appui ; et nous sautâmes au bas des échelles que nous devions escalader.

— Bon voyage, messieurs, nous cria-t-il, en nous voyant nous engager sur le premier échelon. Ayez le pied ferme ; et surtout prenez garde à ces maudits margaux. Un suffit, pour encharogner toute une marine !

Ce volatile était le seul ennemi que nous connaissions à LeBlanc. Un jour, en passant près d’un nid et craignant de faire mal à la mère, il l’avait doucement reculée de la main. En récompense de cette attention délicate, le lieutenant s’était fait saisir à la joue par une paire de tenailles aussi maternelle que terrible ; et au mépris du décorum, cet officier, vigoureusement éperonné dans sa course insensée par l’implacable oiseau, qui restait suspendu à dix lignes de son œil gauche, avait été forcé de galoper dans cet équipage, devant ses matelots ébahis, et de faire ainsi deux fois le tour de l’île.