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LES ÎLES DANS

le plus gros ? J’ai besoin d’une robe de carriole, lorsque je retournerai chez moi, à l’automne. Et ma foi ! plus d’un faraud m’enviera cette peau d’ours, lorsque le dimanche, mon cheval m’attendra à la porte de l’église de Berthier.

Sa vie de trappeur, autant qu’une certaine fable de Lafontaine, avaient mis Têtu au courant des habitudes rusées de maître Ursus. Aussi, fit-il signe à son compagnon de ne pas trop se presser de tirer. L’ours, dont la fourrure soyeuse, devait orner l’arrière d’une des carrioles de Berthier, se présentait mal : et puisque Crispin tenait absolument à celui-là, il fallait attendre le moment favorable, pour le prendre à l’œil ou au cœur.

Mais la chanson de Nadaud aura toujours raison :

L’ambition perd les hommes.

Crispin, rendu nerveux par l’appât du butin, venait d’épauler. V’lan ! le coup part. La balle ricoche sur le museau de l’ours, et va, comme Jonas se perdre dans le ventre de la baleine. Le second ours, plus gourmet et sans doute de meilleure famille que son camarade, avait réussi, pendant le colloque des chasseurs, à se hisser sur le dos du cétacé. C’était sa manière à lui de mettre la main au plat. La détonation du fusil le surprit là : et tout effrayé, perdant la tête comme Balthazar au milieu de son festin, mais ayant moins de décorum que ce roi, il s’élança dans l’espace, où la balle de Têtu vint le rejoindre. Celle-ci l’envoya rouler roide mort sur le dos de son compagnon qui, hurlant de douleur, le museau haché par la balle de Cris-