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val. Ceux-là pelotent les cigares et les respirent avant de les mettre en bouche, chacun cherchant à se montrer plus connaisseur que le voisin.

Mais tournez le coin de la Comédie, longez ces barrières de gare-frontière où il faut faire la queue, quand on est désargenté, pour voir Électre, Ruy Blas ou Monsieur de Pourceaugnac, acheminez-vous vers la rue de Montpensier, étroite et spectrale comme une tranchée, un autre spectacle vous attend. Il ne présente en apparence aucun point commun avec le Théâtre-Français, et pourtant on ne l’imagine pas sans lui. De jour, si le promeneur est rare, et de nuit si le passant est nombreux, mais alors dans l’ombre savante des colonnes et presque sous le patronage de l’Institut de Coopération Intellectuelle, vous serez abordé par les marchandes d’amour dans une langue qui a quelque chose de scénique. Elles ne proposent pas un plaisir plus classique que celles de Notre-Dame-de-Lorette ou de la gare Saint-Lazare, et pourtant l’on ne peut s’empêcher de leur trouver un je ne sais quoi de plus digne qui indique l’influence de la première scène nationale. Les plaisanteries dont elles se servent pour invectiver, lorsque la mauvaise tenue du marché fait sortir les passions, sont tirées du vocabulaire de la maison, et les mots : pensionnaire, part entière, four, m’as-tu vu, entrent dans leurs emportements…

Ces dames sont d’ailleurs incapables d’assurer à elles seules le pittoresque de l’endroit, qui emprunte toute sa saveur et son sel aux bou-