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qui se confondaient dans le parfum des dames et que notre imagination prolongeait jusqu’à des rêves infinis.

Puis nous allions coller nos yeux devant chez Gougy ou chez Champion pour voir passer les érudits, des messieurs très graves qui craignaient, selon le conseil d’Anatole France, « les femmes et les livres, pour la mollesse et l’orgueil qu’on y prend ». Ainsi, les érudits préféraient bavarder avec les marchands, les libraires, et s’en retourner à leurs cahiers poussiéreux et sans danger. On faisait crédit, dans ce temps-là, et je me demande combien de bouquins emportèrent Pierre Louÿs ou Marcel Schwob, avec la promesse de les régler plus tard. Ces vitrines, bien fournies et ravissantes, combien de fois ne virent-elles pas le visage de Charcot, alors hôte illustre de l’hôtel de Chimay, celui de Doumic, ceux de Goyau, d’Hermant, de Poincaré ou d’Hanotaux, de Lockroy ou de Frédéric Masson ! C’était le beau temps des conférences, plus attirantes alors que ne le seront jamais les plus célèbres matches de tennis, des premières communions sensationnelles, des mariages qui donnaient le vertige à des faubourgs entiers. Le moindre événement prenait de l’importance, et nous sentions que Paris était bien à l’extrême bord de la civilisation, qu’il terminait le monde moderne comme un bouquet termine quelque