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charmant, deux cents poèmes qui se boivent facilement, comme le vin de Vouvray, le jaune, celui que l’on ne sert que sur place…

Chef-d’œuvre poétique de Paris, les quais ont enchanté la plupart des poètes, touristes, photographes et flâneurs du monde. C’est un pays unique, tout en longueur, sorte de ruban courbe, de presqu’île imaginaire qui semble être sortie de l’imagination d’un être ravissant. Je connais tellement, pour l’avoir faite cent fois, la promenade qui berce le marcheur du quai du Point-du-Jour au quai des Carrières à Charenton, ou celle qui, tout jeune, me poussait du quai d’Ivry au quai d’Issy-les-Moulineaux, que j’ai l’impression d’avoir un sérieux tour du monde sous mes talons. Ces seuls noms : Orsay, Mégisserie, Voltaire, Malaquais, Gesvres, aux Fleurs, Conti, Grands-Augustins, Horloge, Orfèvres, Béthune et place Mazas me suffisent comme Histoire et Géographie. Avez-vous remarqué que l’on ne connaît pas mieux « ses » quais que ses sous-préfectures ? J’attends toujours un vrai Parisien sur ce point : où finit le quai Malaquais, où commence le quai de Conti ? Où se trouve le quai de Gesvres ? D’après la réponse, je classe les gens. À ce petit jeu, on s’aperçoit qu’il n’y a pas beaucoup de vrais Parisiens, pas beaucoup de chauffeurs de taxi cultivés, encore moins d’agents de police précieux. Chacun se trompe sur la question des quais.

Et cependant, rien n’est plus de Paris qu’un quai de Seine, rien n’est plus à sa place, dans son