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breux émigrants du Nouveau Monde, qui se décident brusquement à venir habiter Paris. On m’a raconté l’histoire d’une autre Américaine, qui s’était établie rue La Fontaine pour étudier chez nous les mœurs des domestiques. Elle les suivait dans la rue, les acculait dans les cafés, les interrogeait, les obsédait. Chauffeurs et maîtres d’hôtels ne savaient pas très bien à quelle sorte de folle ils avaient affaire et sortaient furtivement dans la rue, le col du veston relevé, prêts à décamper. Ils croyaient lasser la vieille demoiselle qui les harcelait comme une salutiste excitée. Mais la moraliste tenait bon. Les premiers éléments de son enquête la remplissaient de bonheur. Certaines histoires de sucre, de lacets de chaussures, de pourboires, l’enivraient. Un soir, elle tomba sur un gâte-sauce ravissant qui faisait sa petite visite nocturne à un aide-pharmacien. Elle le suivit avec une souplesse et des contorsions de chauve-souris. Affolé, le jeune homme se réfugia dans un de ces petits établissements qui sont exclusivement réservés aux hommes, et y resta trois heures. Puis il disparut sans se retourner. Le lendemain, des agents cyclistes ramassèrent sur un banc des quais une pauvre folle endormie qui réussit, après quelques mois de traitement, à se faire rapatrier aux États-Unis. L’aventure n’a bénéficié d’aucune publicité. Pourtant, quelques domestiques parlent parfois à leurs enfants du fantôme d’Auteuil…