Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/49

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LE BŒUF SUR LE TOIT

Si j’avais à écrire une histoire de France d’après-guerre, je ferais une place à part au « Bœuf sur le Toit », sorte d’académie du snobisme qui donne en outre la clef d’une foule de liaisons, de contrats et de mouvements, tant littéraires que politiques ou sexuels.

Le « Bœuf sur le Toit » date de 1920. Moyses, très éprouvé par la guerre, gagnant péniblement sa vie dans les Ardennes, plaçant à droite et à gauche de l’article de Paris, du ruban, du bijou, monté sur sa bicyclette à boîte, arriva à toute vitesse à Paris dans la hâte de trouver une affaire. En rôdant, il dénicha rue Duphot, à deux pas de Prunier, un tout petit bar-lavabo, qui s’appelait « Gaïa », Gaïa, qui vendait fort mal son porto. Moyses dévissa son stylographe et fit presque aussitôt la connaissance d’un groupe d’artistes : Arthur Rubinstein, Picasso, Germaine Tailleferre, Cocteau, dix autres, qui s’emballèrent instantanément sur lui.

Moyses était ce qu’il est resté, grand, costaud, coloré, charnu, cordial, l’amitié grande ouverte, la poignée de main bonne. Il s’agitait, il bafouillait en riant, il était partout à la fois, toujours amical et malin, l’air serviable, au courant, plein de tact, ne manquant pas de l’usage du monde.