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avec ses grues-loteries à jumelles et à couteaux suisses, ses dixièmes de billets de la Loterie Nationale, ses caramels, ses brioches, ses petits jeux, son billard russe, ses briquets, tient à la fois du garage et du bazar. On y achète autant qu’on y boit, et Boubouroche ne s’y trouverait plus à l’aise…

J’ai demandé un soir à un vieux joueur de manille, à la fois grand liseur de journaux, d’indicateurs, stratège, politicien et cocu, pourquoi il passait maintenant ses journées dans certains buffets de gares au lieu de choisir, comme faisaient ses ancêtres, un café de tout repos dans un endroit poétique. Cet habitué me répondit que, justement, il n’y avait plus de ces cafés de tout repos, où des ménagères hirsutes et baveuses venaient chercher leurs maris, comme cela se voyait dans les nouvelles de Courteline. D’abord, les dames vont au café aussi, soit qu’elles aient pris goût à l’alcool, soit qu’elles veuillent entendre de la musique, jouer aux courses, ou prendre part à des discussions féministes. Elles ont troublé l’atmosphère purement masculine des cafés d’autrefois. Puis, ce sont les adolescents qui se sont mis à occuper les banquettes pour y discuter sport, ou pour s’y livrer à des assauts de belote. Enfin, ce sont les patrons qui, manquant de tradition, ont innové dans leurs établissements des boissons modernes, américaines, mélangées, dont la saveur ou les noms ont vivement heurté le traditionalisme des vieux clients.

Le Montmartrois moderne, qui a eu tant d’il-