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lard. Célèbres, les salles de billard du Wepler sont immenses, composées et distribuées comme les carrés de gazon d’un jardin. Les hommes du Milieu qui hantent le Wepler ont des postes un peu partout dans ce paysage de verreries. Mais ils se réunissent de préférence au billard, à cause du spectacle… Il en est d’une classe et d’une distinction spéciales, qui me font songer à leurs anciens, Dutheil de l’Artigère, Gonzalès, Calvet, types confortables, gras et muets, aux joues mates, aux cheveux bien lustrés, aux paupières lourdes de sens. « Les amants des prostituées sont heureux, dispos et repus ». Baudelaire dixit.

La grande salle de billard du Wepler a quelque chose d’une Bourse. Des consommateurs se serrent la main sans se connaître, mais il y a des années qu’ils viennent là avec leurs dames, comme pour accomplir une besogne précise et nocturne. Ce sont des confrères, comme les coulissiers ou les mandataires. Leur place entre dix heures et minuit, est place Clichy, et les verres absorbés finissent par devenir d’autres articles de bureau. Aventuriers qui ne quittent jamais Paris, commis aux cravates bien alignées, aux épaulettes américaines, bureaucrates qui citent parfois du latin devant de vieux camarades de collège, professeurs de l’Enseignement Secondaire qu’aucun art n’a tentés, neurasthéniques qui n’ont que cette heure pour oublier la vie, l’absence d’épouse et le manque de charme… Le Wepler est doux à toutes ces âmes ; il les abrite, il les couve, il les choie…