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Rien n’évoque plus heureusement Paris que cet opéra réussi qui aurait pu si facilement sombrer, la rue des Martyrs, la rue Tardieu, lieux géométriques où la petite bourgeoisie rencontrait et rencontre encore la haute bohème, la rue Lepic, une des plus célèbres du monde : Avoir été charcutier rue Lepic est aussi honorable, sinon aussi historique que d’avoir été marchand de tableaux rue du Faubourg-Saint-Honoré ou marchand de cinéma avenue des Champs-Élysées. La rue Lepic est comme le fleuve de Montmartre qui arrose le pays, lance des affluents dans l’épaisseur du quartier, entretient la flore et produit des places qui ont plus d’importance dans l’histoire de la Troisième République qu’une nuée de ministres ou de décrets. Au sommet de la rue Tholozé s’aperçoit le Moulin de la Galette, musée de bals un peu prude malgré sa réputation de jambes en l’air. Le Moulin de la Galette où, il n’y a pas si longtemps, on débitait encore de la galette, et le Moulin-Rouge, avant leur colonisation par des nègres sans exotisme, des Russes sans Russie, des peintres sans talent ni palette ni chevalet, des politiciens sans parti et des voyous sans occasions, ont été réellement habités par des artistes, au premier rang desquels il faut mettre Lautrec, et Maurice Utrillo, un des imagiers les plus vrais de Montmartre, le peintre d’Histoire de cette Butte qui se présente aujourd’hui aux cervelles étonnées de nos futurs bacheliers avec tout le charme et le mystère de l’Égypte des