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pendant dix bonnes années ; un petit café où il lui arriva de boire très tard avec des amis du Figaro, en sortant d’un bal de l’Opéra. Ce ne furent que souvenirs d’un temps rose…

Enfin, nous arrivâmes rue Rossini. L’impression de détresse que produisit sur moi l’intérieur, ou plutôt le taudis du Britannique fut telle que je prétextai un dîner que j’avais moi-même oublié pour m’enfuir au plus vite. Sur la table, deux œufs à la coque posaient comme deux œuvres d’art. Une ombre de catacombes tombait d’un plafond bas. L’appartement minuscule et froid était encombré d’assiettes, de vieux meubles et de vêtements qui sentaient le teinturier. Au fond se tenait, pareil à un croisé vêtu de ses écailles, l’Anglais qui salua poliment. Tous deux allaient célébrer sur le ton de la plus haute distinction une sorte de culte des morts, et boire, à la santé des chers disparus, ainsi que des années évanouies, l’eau du robinet. Le comte de F… m’accompagna jusqu’à la porte d’entrée, me pria de revenir le voir et me demanda :

— Pourquoi ne parlez-vous jamais des femmes de notre bon vieux temps ? Il y en eut de si étonnantes…

— C’est que, dis-je, il faudrait parfois les nommer.

— Oh ! que vous avez raison, s’écria-t-il. Alors, chut !… chut !… chut !… Pas d’indiscrétions…