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fourreur célèbre s’était empressé de lui faire don d’un manteau à vous couper la parole, ce qui était parfaitement admis, des femmes comme Madeleine Carlier ayant droit en principe à tous les égards… Elle accepta d’ailleurs l’objet, avec cette hauteur gracieuse et troublante qu’elles ont toutes en commun, et le porta théâtralement, car il en valait la peine. À quelque temps de là, le fourreur, qui n’avait été parisien qu’une fois, osa envoyer à Madeleine Carlier une facture astronomique. Celle-ci fut accueillie par un rire qui gagna bientôt tout Paris. L’actrice garda le cadeau, comme bien vous pensez, et tout Paris lui donna raison.

Ce n’étaient que noms de femmes qui vous passaient par la tête : Mlle Beauregard aux jolis pieds, et dont les allées et venues dans les coulisses de l’Opéra faisaient se déplacer au pas cadencé des pelotons de vieux messieurs. L’inoubliable Cléo de Mérode, plus puissante que les puissances, comme l’avaient été Madeleine Brohan ou l’illustre Léonide Leblanc, connue au théâtre sous le nom de Lambelle, et qui eut toujours le courage non pas seulement de ses opinions, mais de ses actes. Un jour qu’une petite comtesse du genre pilier de conférences, (car il y en avait déjà), l’aborda pour lui dire, non sans un certain mépris, qu’elle dinait le soir même chez Son Altesse Royale le Prince de G…, la belle Leblanc, qui ne se laissait pas marcher sur les pieds, répondit : « Et moi, j’y couche, Madame la Comtesse ! » Inutile de dire