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son petit musée d’hôtel. Elle régnait. Je me pensais revenu aux temps où, selon un oncle à moi, les rois se glissaient, déguisés, mal rasés et mal chaussés, dans les alcôves où les cocottes de 1900 les réduisaient à l’état de jouets. Sarah était à peu près nue sous un déshabillé qui découvrait parfois des cuisses galbées et blanches, ma foi, à vous faire perdre le souffle. Mon vieil ami trépignait. Le brave homme ! Il croyait prendre la succession des Morny, des Roger de Beauvoir et des Castellane. Je le laissai avec son enchanteresse qui, je l’ai su depuis, lui soutira deux cent mille francs et quelques recommandations importantes pour des « affaires ». Huit jours plus tard, nous dînions tous trois au Café de Paris, où Sarah avait tenu à nous offrir un de ces menus sensationnels que seul savait préparer Louis Barraya, vieux Parisien authentique, celui-là, et traiteur de haute lignée. Mon ami était toujours sous le charme. Il nous racontait l’histoire de Paris en nous rappelant le souvenir de Maupassant, de Paul Bonnetain, de Hugues Le Roux, professionnels jolis garçons d’une époque que nous ne pleurerons jamais assez. Vers minuit, Sarah fut appelée au téléphone et nous quitta fort mystérieusement. Nous ne devions plus la revoir.

— Elle nous abandonne pour quelque prince, murmura mon ami.

Elle parlait en réalité pour l’Amérique, livrer à des industriels le fruit de son pillage à Paris, car, sous couleur d’élégance innombrable, elle