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pensiers qui ont tenu longtemps ici le haut du pavé. Retournant un adage célèbre, on peut écrire : Un étranger riche est un étranger. Un Parisien riche est un Parisien, un Parisien pauvre également. C’est une sorte de teinte, cela correspond à la qualité d’un tissu.

Je me trouvais, il y a quelques mois, sur le quai d’une gare, au milieu d’un peloton serré de voyageurs impatients : nous attendions le train pour Paris, qui avait un peu de retard. Au premier rang, je distinguai deux soldats accompagnés de quelques civils, des camarades. Le train s’enfila, stoppa. Il était à peu près comble. Un des soldats fonça vers le petit escalier d’une voiture. Gentiment, l’autre le retint par le coin de sa vareuse et dit, avec infiniment de sérieux :

— Doucement, hé, mon bonhomme, j’ suis d’ Paname, moi.

Être parisien confère une sorte de primauté à l’heureux tenant de ce titre. En revanche, des quantités d’originaires de la plaine Monceau ou de la place d’Italie ne seront jamais parisiens de leur vie : ils n’ont pas attrapé la manière. On sent très bien que Brunetière ne fut jamais un Parisien, alors que Capus et Donnay le sont jusque dans leurs rêves. Léon Daudet est parisien, Léon Blum ne l’est pas, et sans doute n’y tiendrait-il pas. Il est à remarquer d’ailleurs que certains romanciers et auteurs dramatiques — qu’on se rassure, je ne nommerai personne — qui passent à l’étranger pour être l’expression même, la personnification de Paris, parce qu’ils inventent