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MON QUARTIER

Il y a des années que je rêve d’écrire un « Plan de Paris » pour personnes de tout repos, c’est-à-dire pour des promeneurs qui ont du temps à perdre et qui aiment Paris. Et il y a des années que je me promets de commencer ce voyage par un examen de mon quartier à moi, de la gare du Nord et de la gare de l’Est à la Chapelle, et non pas seulement parce que nous ne nous quittons plus depuis quelque trente-cinq ans, mais parce qu’il a une physionomie particulière, et qu’il gagne à être connu.

Il y a trente-cinq ans, on y allumait encore des chauffoirs qui sentaient le pantalon d’homme et la locomotive usée, des chauffoirs plutôt tièdes, mais célèbres dans l’univers misérable, autour desquels les gueux du Tout-Hors-la-Loi venaient se rassembler comme des mouches autour d’un morceau de Munster. C’était le temps où Bruant chantait et faisait chanter :

Mais l’quartier d’venait trop rupin.
Tous les sans l’ sou, tous les sans-pain
Radinaient tous, mêm’ ceux d’ Grenelle,
À la Chapelle.
Et v’là pourquoi qu’ l’hiver suivant
On n’ nous a pus foutu qu’ du vent,
Et l’ vent n’est pas chaud, quand i’ gèle,
À la Chapelle…