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Courteline, Proust lui-même leur ont donné assez de noms dans leurs œuvres pour que le lecteur les reconnaisse.

Nous montons donc, armés de cannes Second Empire, en complets modernes, tout sonores de souvenirs, chercher le long des murs quelques inscriptions d’un autre âge et voir dans leurs fauteuils à oreilles celles qui furent des reines de Paris et des reines d’amour du temps de Loubet ou de Fallières. Puis nous descendons à Montparnasse, jeune rivale de l’ancien Olympe du dix-huitième arrondissement. Montparnasse n’a pas beaucoup de bouteille encore. Mais le quartier sut attirer d’emblée de bons pelotons de Parisiens à qui le frisson « artistique » était nécessaire.

Beaucoup de Parisiens de la grande époque faisaient le voyage de Montparnasse comme on ira demain aux chutes du Niagara ou à l’effondrement de Mars. Ils découvraient des terres connues et en même temps ignorées. Ils allaient rendre visite à des diplomates cachés ou terrorisés, à de grands seigneurs ruinés, à ces curieux personnages qu’ont si bien approchés les gigolos d’Abel Hermant : Magyars sans chaussettes et pourvus de noms vertigineux, seigneurs moldovalaques et qui partageaient avec des épouses exquises des petits pains trempés d’affreux cafés-crème au goût de siccatif. Ce qui attirait aussi des élégantes et de vieux marcheurs générale-