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de tel diplomate. C’était le temps où le regretté Louis Delluc adressait des lettres en vers aux buveuses de lait du Pré-Catelan, tandis que Jules Lemaître, de l’Académie française, nationaliste des Champs-Élysées, préfaçait de petits bouquins charmants consacrés au Chat Noir et illustrés par Gus Bofa.

Et déjà, l’on ne sait trop pourquoi, Montmartre mourait. Il y a plus de vingt-cinq ans, un de nos confrères l’enterrait gentiment, ce doux quartier. Il dénonçait le crime des pierres qui nous enlevaient jour par jour un peu plus d’air, un peu plus du vieux Paris et un peu plus du vieux Montmartre. Pour moi, le phénomène est plus curieux et bien différent. J’ai beau faire, je ne vois pas mourir Montmartre. Le Lapin Agile y reste toujours agile sur ses pattes, et Poulbot continue ses fresques de marmaille comme si rien n’avait bougé sur la Butte. Depuis les départs des Américains cousus d’or et des colons espagnols, Montmartre est même devenu plus Montmartre que jamais. C’est bien un petit coin de la province française encastré dans Paris. Il ne se passe pas de jours que je ne m’y attarde en compagnie de quelques vieux cercleux, maniaques, célibataires pour la plupart, ravis d’avoir entretenu de jolies femmes avant la guerre, et que je ne nommerai pas par respect pour leurs secrets. Bourget, Hervieu, Capus,