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doré, aérien, tendre, qui met en fuite les démons de la solitude, celui de Baudelaire, de Manet, d’Apollinaire, et de tant d’autres pour qui la vie en marge des institutions et coutumes bourgeoises n’était pas une affectation, mais une nécessité en quelque sorte congénitale. Le véritable état-major de Montparnasse se composait de Moréas, de Whistler, de Jarry, de Cremnitz, de Derain, de Picasso, de Salmon, de Max Jacob, haut patronage de morts et de vivants qui donne encore le ton aux débutants dans l’art d’avoir du génie. Il y a un peu plus de vingt ans, quand Picasso vint s’établir aux environs de la Rotonde, tout le monde comprit à Paris qu’une colonie nouvelle, qui s’étendrait jusqu’à la porte d’Orléans, allait remplacer la rue Lepic agonisante. Le restaurant Baty connut une vogue soudaine et eut l’honneur de faire crédit à Léon Trotsky, lequel, encore qu’il ait inventé l’armée rouge et la position de révolutionnaire absolu, restera toujours un type de Montparnasse, et montrait bien des points communs avec Modigliani, Vlaminck ou le douanier Rousseau, autres clients de Montparnasse, plutôt touristes d’ailleurs, Vlaminck arrivant de la grande banlieue et Modigliani de Montmartre. Cette présence de peintres, d’esthètes, de courtiers en tableaux, de poètes et de midinettes toujours prêtes à se déshabiller pour poser un nu n’a pas été sans influencer fortement la gent « vadrouillarde » du quartier. Le « mec » du Raspail ou de l’avenue du Maine