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Je devais revoir Zilou quelques années plus tard chez Suzy Solidor, mais il ne me reconnut pas, car je portais la barbe le jour du chèque. J’appris par hasard qu’il ne sculptait plus ; il est, paraît-il, figurant de cinéma. Ce soir-là, il écoutait Suzy chanter d’une voix âpre et violente des récits nostalgiques et qui le poussaient sans doute à réfléchir aux singularités de la nuit parisienne. Du moins, il avait bien choisi son endroit pour méditer, car Suzy Surcouf Solidor est une femme curieuse et attachante. Elle fit ses premières armes dans le bataillon de Deauville, en compagnie de Mme de Brémond d’Ars, qui est le raffinement même. Yvonne initia Suzy à l’art difficile de s’habiller discrètement, de sourire et de séduire. Fait d’un mélange de « rusticité bretonne » et d’ « aristocratie maritime » le fond était merveilleux. Suzy se montra bonne élève, mais les deux amies se séparèrent après un tendre voisinage de sept ans.

À peine arrivée à Paris, Suzy ouvrit quai Voltaire une boutique de curiosités qu’elle n’hésita pas à baptiser : « À la Grande Demoiselle ». Le dimanche, la boutique se transformait insensiblement en auberge, car les amis de Suzy en amenaient d’autres, et le pique-nique s’organisait de lui-même au milieu d’une forte camaraderie, que rehaussaient encore des chansons de matelots. Une fille très jolie, accorte et fine, Line, dirigeait admirablement ce relais galant et tenait lieu de dépensière, d’économe, de caviste et de cuisinière. De là à fonder un bar « comme les au-