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environs de 300 francs. Quand je pense à cette chasse à la femme, il me souvient d’avoir serré au passage la main de Marie Laurencin, de Derain, de Peignot, sous l’œil attristé du sculpteur qui ne savait s’il devait se fâcher ou pleurer. Vers une heure du matin, sommés par la faim, nous entrâmes dans une gargote tapie dans l’ombre de la gare Montparnasse. Un caboulot terne et bas de plafond, d’une touffeur d’aspic populaire. Le patron nous assigna une place à côté d’un groupe de charcutiers à têtes d’enfants de chœur enfoncés dans une partie de cartes. On nous servit des huîtres qui avaient la fièvre, suivies d’un tronc de saucisson qui fleurait la locomotive. Pendant ce temps, le compteur se gorgeait de francs et de centimes.

— Qu’allez-vous faire ? demandai-je à Zilou.

— Attendre, répondit-il. Le café est ouvert toute la nuit. Demain matin, je téléphonerai à la dame. Elle me feüa délivrer pâ son chauffeü.

— En comptant bien, hasardai-je, il reste encore une dizaine de bars dans Paris. Nous n’avons pas visité les Champs-Élysées, la rue Molière, la rue Caumartin. La nuit ne fait que commencer. Après tout, il n’est guère que quatre heures ?

— J’ai sommeil, murmura le jeune nègre, dont le corps était attiré par la banquette.

Je réglai notre immangeable souper et quittai l’artiste au petit jour. Le chauffeur du taxi ronflait à son poste et rêvait à un billet de cinq cents francs. Je passai prestement devant lui, comme on passe devant un tailleur.