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Le mieux était de visiter quelques boîtes : il n’y en a guère que dix où l’on puisse espérer trouver les gens que l’on cherche. Comme mon bonhomme ne connaissait pas grand’chose à la géographie parisienne, je lui proposai de l’accompagner dans sa petite enquête. Ce qu’il accepta d’emblée, et nous grimpâmes en taxi. Notre première visite fut pour le « Liberty’s », où Bob trinquait avec le Conseil d’Administration d’une Compagnie Fermière, époux bardés de plastrons qui s’amusaient comme des petites filles. Mais nous n’aperçûmes pas la mécène.

— Je crois que ce n’est pas sa place, murmura le nègre, qui avait l’œil.

Je priai le taxi d’attendre bien sagement au coin de la place Pigalle et du cinéma qui termine la rue. Un petit vent sournois à odeur de vin blanc trottait le long des maisons. Chauffeurs et chasseurs battaient la semelle devant les établissements d’où s’échappaient des fumets appétissants. Il nous venait à la gorge des envies d’omelettes et de bouillottes, mais le sculpteur n’avait pas de temps à perdre, car le compteur du taxi mijotait. Nous entrâmes successivement dans tous les bars de la rue, en commençant par le côté pair. On nous vit au Grand Duc, chez Lajunie, au Caveau Caucasien. Nous nous risquions dans ces bars minuscules qui ne résistèrent pas à la crise. Partout un visage connu nous apparaissait entre les couples tournoyants. Chaque coin de Paris semblait avoir envoyé un ambassadeur ou une ambassadrice dans chaque