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des paysages polaires, son cèdre de 1735, ses insectes mimétiques, le Jardin des Plantes est un jardin de rêverie et d’amour, une curiosité incomparable de Paris, un lieu de rendez-vous pour philosophes. On aime que ce cadre éloquent, tout frémissant de rêves de crocodiles, de contorsions majuscules de serpents, de bâillements de tigres et de chuchotements de plantes rares, ait été celui de deux romans : Le Père Goriot et le Disciple.

Mais, à côté de ces deux récits connus, que d’aventures s’ébauchent et se défont dans cet endroit de Paris si accueillant ! J’ai beaucoup fréquenté, avant la guerre, deux amoureux qui se retrouvaient chaque nuit dans un restaurant de la rue des Fossés-Saint-Bernard. Tous deux s’étaient connus sur les chevaux de bois de la place Walhubert et tenaient depuis ce jour à passer pour ce qu’ils n’étaient pas. Lui, un grand gaillard à lunettes, faisait régulièrement le mur de l’école polytechnique, décrochait un feutre de mauvais goût chez un copain de la place Maubert, et se donnait pour un artiste désœuvré et anarchiste. Elle, venait de la place Victor-Hugo, descendait de fiacre au coin du pont Sully, se faisait une beauté de barrière en longeant la Halle aux Vins, jouissait dans le bistrot d’un prestige de même de Paname, auprès du jeune homme qu’une acné traditionnelle rendait plus timide et plus rougissant encore. Nous goûtions ensemble aux spécialités du Mâconnais que le cafetier étalait sous nos yeux. L’odeur du marché public aux