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vie du monde de quitter leurs vieilleries. « Mais, disait-elle, puisque je me propose, puisque je prétends inviter tout le monde chez moi ? Je veux donner des réceptions comme au grand siècle. Comme la reine Margot. » Ayant décidé que son charme et son argent feraient tout, même dans une ville comme Paris où les administrations sont lentes et indifférentes, elle résolut d’attaquer le Marais par le haut, c’est-à-dire par le gouvernement, et se mit à inviter des ministres, des archivistes, des ambassadeurs à sa table, dans un palace où le plus officiel des hommes se rend toujours avec plaisir.

Un soir, excédé par les supplications de la dame, qui n’en finissait pas d’exiger un hôtel du IIIe arrondissement afin de faire « histoire » dans sa famille, un diplomate lui dit, de l’air le plus sérieux du monde : « J’ai enfin trouvé un hôtel à vendre. C’est la demeure la plus bourrée de passé que vous puissiez concevoir. Le meilleur de la France y a dormi, aimé, joué, tué. Des rois, des princesses, des ducs. Tout ce que Paris a de sonore, de distingué, de noble, de précieux se trouve réuni là comme par magie. Enfin, j’ajouterai que je puis m’entremettre, chère amie, pour la vente de ce trésor. Nous pourrions faire affaire tout à l’heure dans un petit salon. » Rouge de satisfaction, la jeune Américaine, qui croyait qu’il n’y avait pas trop de différence entre un collier de perles, une voiture et une vieille demeure parisienne, déclara qu’elle était prête à signer un chèque et qu’elle entendait