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le huit centième anniversaire, des photographies d’intellectuels et d’écrivains, des participations de dix pour cent à la loterie nationale, que l’on vient acheter des quatre coins de Paris sous prétexte qu’elles ont passé par des mains israélites, un bon choix de littérature hébraïque, du linge de maison importé d’U. R. S. S. et garanti fait à la main, enfin une palette de limonades pourpre, céladon, jaune de chrome, vermillon, salade, grands tubes de verre dans lesquels on souhaiterait un ludion, et qui de loin semblent tourner naïvement comme un manège de chevaux de bois pour nains…

Ce magasin, qui pourrait être à ciel ouvert, me rappelle ces gares de sous-préfecture où se réunissent chaque soir, au moment de l’apéritif, les notables, les oisifs et les fonctionnaires. On s’y recueille aussi pour la veillée. De vieux Juifs, comme on n’en rencontre qu’à Bydgoszcz, Zlatana ou Milowek, se faufilent le soir entre les livres. On s’étonne de les voir à Paris, vêtus de touloupes qui balayent le sol, le favori roulé, le cheveu huileux, la main tremblante. Ceux-là, plus libres en France que partout ailleurs, méprisent hardiment le costume chrétien. Affairés et rêveurs, ils vont et viennent dans la boue du ghetto, coiffés de petites toques à courte visière, enveloppés, enhaillonnés de longues redingotes aile de corbeau, de lévites funèbres. Les yeux profonds, tristes et perdus, le teint rose, parfois effrayant, les oreilles énormes, le corps penché, boiteux, borgnes, tuberculeux neuf fois