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nir une bonne petite femme tranquille, légitimement épousée. À celui qui lui offrirait non pas le romantisme d’une grande passion, mais la sécurité des jours, Clotilde Barjon promettait par avance, à part soi, les félicités d’une humeur douce, d’une calme tendresse, voire de la fidélité.

C’était un rêve sans noblesse, mais la jeunesse est trop souvent à rude école pour ne pas sentir s’éteindre en elle, de bonne heure, la flamme pure de l’idéal. Seuls les privilégiés, les êtres dont l’âge, les déceptions, n’altèrent pas l’âme de l’enfant, ce trésor des trésors, la sentent briller en eux jusqu’au dernier sommeil.

Toute petite, Clotilde prit l’amour en défiance. Elle avait vu souffrir sa mère amante passionnée d’un homme pas méchant, mais incapable de résister à l’attrait d’une femme qui lui souriait. La vie du ménage irrégulier resta, au cours des années, une suite de crises jalouses, de raccommodements passagers, de serments jamais tenus, de scènes trop pénibles pour de courtes joies.

À chacun de ses retours, M. Barjon, voyageur de profession, promettait sincèrement de régulariser une situation dont souffrait la mère de Clotilde. Un jour, il ne revint pas. Clotilde se souvenait, avec une sorte d’effroi, de la douleur égarée de sa mère.

L’amour est d’essence précieuse. Au contact des vulgarités journalières, il s’étiole. L’habitude l’use, la misère le dépouille de sa grâce. Chaque jour le fane, si l’on n’y veille. C’est le luxe rare de la vie. Les cœurs secs ne le soupçonnent pas, tandis que les autres l’éparpillent en dons royaux qui n’achètent point toujours le secret de plaire et d’enchaîner.

Lorsque Clotilde avait rencontré Pierre elle ne pensa nullement d’abord qu’elle rencontrait un amant possible. Ayant pâti de l’affreuse gêne qui donne aux filles une précoce expérience, elle savait qu’il ne suffit point d’être belle, si la beauté n’est mise en valeur. Forte de sa jeunesse qui pouvait attendre l’occasion sérieuse, elle ne se pressait pas, ayant peu de sensualité et n’échafaudant que de raisonnables rêves.