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FEUILLETON DU 15 OCTOBRE 1916

7
LA ROSE DE JÉRICHO
par
FANNY CLAR

— SUITE —

Aux terrasses des cafés, les consommateurs buvaient dans la joie de l’heure limpide. Pierre passait auprès d’une brasserie quand on l’appela. Il n’entendit pas. Une main énergique se posant sur son bras le sortit brusquement de sa songerie.

— À quoi diable peux-tu réfléchir ainsi, pour ne point m’entendre ? Il me faut courir après toi. As-tu le temps de t’asseoir, au moins ?

C’était Chemargues.

— Oui, dit Pierre en souriant, j’ai le temps.

Rencontrer Chemargues à ce moment lui fut agréable. Il éprouva la satisfaction égoïste que l’heure allait passer plus vite. La conversation ne devint pourtant guère brillante, entre les deux amis Pierre, maintenant qu’il était assis, n’éprouvait plus le besoin de parler et Chemargues montrait des allures bizarres. Il regardait Pierre, ouvrait la bouche, puis, comme s’il trouvait trop difficile ce qu’il voulait exprimer, il se taisait, jetant alors autour de lui des regards attentifs. Cette sorte de malaise que Pierre ne remarquait pas, absorbé par sa propre pensée, parut, tout à coup, lui devenir insupportable. D’un coup sec, il frappa la table du café.

— Écoute, à la fin, c’est stupide. Quand on fait des bêtises il faut au moins posséder le courage de s’avouer un imbécile. Or, je suis un imbécile.

Quelque peu ahuri, Pierre le contempla sans répondre.

— Oui, reprit Chemargues, tu ne comprends pas, eh bien ! continua-t-il, avec un rire contraint, j’attends une femme.

— Toi ?

— Oui, moi.

Il coula vers Pierre un regard où la confusion se mêlait à de la raillerie pour lui-même et à une certaine supplication d’indulgence. Mais dans le bon sourire de son ami, il ne trouva nulle dérision.

— Et continua-t-il comiquement piteux, le mal est bien plus grand que tu ne peux l’imaginer : je me marie !

— Bah !

— Que veux-tu, c’est la faute à Lucile.

— Comment ça ?

— Certainement. Toujours le piège de