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de la danse et du chant. Si quelqu’un voyait les Ioniens rassemblés, il les dirait immortels et exempts de vieillesse. Le cœur se réjouit en voyant ces héros gracieux, leurs femmes ornées de ceintures, leurs vaisseaux rapides et leurs trésors abondans. Mais il est encore un grand prodige dont la gloire est impérissable, ce sont les filles de Délos elles-mêmes, prêtresses du dieu qui lance au loin ses traits. Elles célèbrent d’abord la gloire d’Apollon, puis elles rappellent Latone et Diane jalouse de ses flèches ; elles chantent aussi les héros anciens et leurs épouses et charment la foule des humains. Elles savent imiter les danses et les chants de tous les peuples. On dirait que chacun d’eux parle lui-même, tant ces belles voix imitent facilement leurs accords.

Soyez-nous favorables, Apollon et Diane. Salut à vous, ô leurs prêtresses. Ressouvenez-vous de moi dans l’avenir, et si jamais parmi les hommes quelque voyageur malheureux vous interroge et vous dit :

« Jeunes filles, quel est le plus illustre des chanteurs qui fréquentent cette île ? Lequel vous charma davantage. »

Pleines de bienveillance pour moi, puissiez-vous répondre :

« C’est le chanteur aveugle. Il habite dans la montagneuse Chio : ses chants conserveront une éternelle renommée dans les siècles futurs. »

Quant à moi, je redirai votre gloire par toute la terre jusqu’au sein des villes populeuses : les hommes seront convaincus, car c’est la vérité.

Non, je n’oublierai point Apollon qui lance au loin ses traits. Je chanterai le dieu qui porte un arc d’argent, le dieu qu’enfanta Latone à la blonde chevelure[1].....

O Apollon, qui possédez la Lycie, l’agréable Méonie et l’aimable ville de Milet, située au bord de la mer, vous étendez aussi votre puissance sur Délos, qu’entourent les ondes. Le fils de la blonde Latone, faisant résonner une lyre harmonieuse, s’avance vers l’âpre contrée de Pytho, revêtu d’habits immortels et tout parfumé d’essences ; son archet d’or fait rendre à l’instrument les sons les plus mélodieux. Puis abandonnant la terre, il s’élève jusqu’à l’Olympe, et, rapide comme la pensée, pénètre dans les demeures de Jupiter pour se rendre à l’assemblée des dieux ; aussitôt les immortels consacrent tous leurs instans au chant et à la lyre. Toutes les muses font entendre leurs voix mélodieuses : elles chantent l’éternelle félicité des dieux et les souffrances des hommes qui vivent dans l’erreur et la faiblesse, sous la domination des immortels, et ne peuvent trouver aucun asile contre la mort, aucun remède contre la vieillesse. Les Grâces à la chevelure superbe, les Heures bienveillantes, Hébé, l’Harmonie, et Vénus la fille de Jupiter forment les chœurs des danses en se tenant par la main ; une divinité grande et admirable à voir et qui certes n’est pas une faible déesse, Diane, heureuse de ses flèches et la sœur d’Apollon, les accompagne d’une voix mélodieuse. Mars et le meurtrier vigilant d’Argus se joignent à ces jeux. Enfin le brillant Apollon lui-même joue de la lyre en marchant dans la splendeur de sa grâce et de sa fierté. Il brille d’une vive lumière ; l’éclat de ses pieds et de sa longue tunique rayonne au loin. Latone à la blonde chevelure et le puissant Jupiter ressentent une vive joie dans leur âme en voyant leur fils se mêler ainsi aux jeux de la troupe immortelle.

Comment vous comblerai-je d’assez d’honneurs, ô vous digne des plus grandes louanges ? Chanterai-je vos plaisirs et vos amours lorsque, pour vous unir à la jeune Azantide, vous luttâtes avec le noble Ischys, vaillant cavalier issu d’Élation ? ou bien avec Phorbas, fils de Triopée, avec Érechtée, avec Leucippe et son épouse, vous à pied, lui monté sur un char ?..... Ou bien dirai-je, ô Apollon, toutes les contrées que vous avez parcourues cherchant un lieu propice pour rendre vos oracles aux mortels.

D’abord en quittant l’Olympe, vous êtes venu dans la Piérie, dans Lectos, dans Émathie, dans le pays des Éniens et parmi les Perrhèbes ; vous avez visité Iolchos et Cénée, promontoire de l’Eubée, célèbre par ses navires. Vous êtes resté quelque temps dans les champs de Lélanté, mais votre cœur ne trouva pas ce pays assez beau pour y bâtir un temple au milieu d’un bois ombragé. De là, vous avez franchi l’Euripe, divin Apollon ; vous avez traversé une montagne verdoyante ; vous êtes parvenu en peu d’instans à Mycalèse et jusque dans Teumèse aux gras pâturages. Enfin vous êtes arrivé à Thèbes dont le sol était couvert de

  1. Dans quelques éditions la première hymne s’arrête ici et les paroles suivantes « O Apollon » en commencent une seconde ; mais, à l’exemple de plusieurs traducteurs, nous avons accepté la leçon qui forme de tout le texte un seul ensemble : il en ressort une ampleur de conception plus naturelle aux œuvres d’Homère.