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chaste maison, il lava la pierre de ses propres mains et en prit le plus grand soin, pareil à une mère qui porterait dans ses bras son petit enfant. Et toi, quand tu voudras entendre la voix des dieux, fais de même, afin que ton esprit soit témoin de ce miracle ; si tu fais semblant de limer cette pierre entre tes mains, elle poussera tout d’un coup un cri comme un jeune enfant qui pleure dans le sein de sa nourrice. Mais il faut toujours la soigner attentivement, de peur que par mégarde, ou par une frayeur précipitée, tu ne la laisses tomber à terre et que tu n’excites ainsi la colère terrible des dieux. Interroge-la sur l’avenir, elle te dira toutes choses avec sincérité. Puis, après que tu l’auras lavée, approche-la davantage de tes yeux. Tu la trouveras abandonnée par le dieu et inanimée. C’est ainsi que le fils de Laomédon apprit de cette pierre divine que sa patrie serait envahie par les Atrides.

Je te dirai encore d’autres qualités de l’aimant : il est toujours semblable à un serpent. Aussi, Philoctète, son esprit était toujours occupé par une très-grande frayeur qui le privait même du sommeil, parce qu’il lui semblait continuellement voir un serpent devant ses yeux. Il priait instamment le prudent Palamède de lui indiquer quelque médicament qui pût mettre en fuite les serpens dangereux, quand il parcourait la terre nourricière en chassant. Et celui-ci prenant à témoin Phébus, fils de Latone, lui dit les choses que je vais te raconter. Phébus à la brillante chevelure m’apprit encore, à moi enfant, l’art d’interroger l’avenir ; il me fit d’abord prêter serment de ne jamais tenir aux hommes de faux discours. Toutes les choses que je te dis sont donc très-vraies. Maintenant, prête une oreille attentive à mon discours, héros qui lances au loin les traits. La terre noire produit le mal pour les hommes infortunés ; mais en même temps elle produit le remède de chaque mal. Ainsi la terre engendre les reptiles, mais elle engendre aussi des moyens infaillibles de guérir leurs morsures. C’est de la terre que viennent toutes les espèces de pierres, dans lesquelles se trouve une puissance prodigieuse et variée. Tous les avantages que présentent les racines, les pierres les offrent aussi. Les racines ont une grande force, mais les pierres en ont une bien supérieure ; d’autant plus que la terre les crée incorruptibles et que jamais elles ne vieillissent. La racine meurt ; elle ne verdoie que pendant un temps fort court ; tant qu’elle vit on peut en récolter des fruits ; mais une fois qu’elle sera morte, quel espoir pourrez-vous conserver en elle ? Parmi les herbes que vous trouverez au printemps, les unes sont utiles, les autres nuisibles : mais vous rencontrerez difficilement des pierres dangereuses, et cependant il y a autant de pierres qu’il y a d’herbes. Héros illustre, armé de la pierre d’aimant, tu pourras traverser tranquillement à travers les reptiles, vinssent-ils à toi par troupes effroyables, tu ne craindras pas la mort affreuse. Ils auront beau s’élancer sur toi, ils ne pourront pas se servir de leurs dents. Il ne leur sera pas possible de rester là plus longtemps ; à peine auront-ils paru que la frayeur les prendra, ils s’enfuiront par une course rapide. S’ils veulent se précipiter sur toi, ils se retireront de suite. Leur rage sera assoupie à l’instant, et, étendant leurs longues têtes, ils chercheront à te caresser avec leurs langues, comme le feraient de petits chiens. Souvent le chasseur Euphorbe, muni de ce préservatif, entraîné par l’ardeur de la chasse, s’endormit dans les épaisses profondeurs de l’Ida au milieu des dragons avides de carnage. Cédant à ses supplications, je lui avais donné une de ces pierres, et dans le grand nombre de serpens qui l’environnaient, aucun n’osa l’attaquer.

Menalippe un de mes cousins, d’une belle taille et d’une forme remarquable, homme excellent, était charmé d’Euphorbe, aussi belliqueux que beau ; il aimait ce jeune homme, redoutable à la lance et portant une magnifique chevelure. Aussi, quand il allait à la chasse, jamais le fils d’Icetaon ne voulait se mettre en route sans Euphorbe. Mais, se plaisant avec l’enfant divin sur le sommet boisé des montagnes, accompagné de ses chiens et de ses amis, il poursuivait avec lui les bêtes fauves à la trace et désirait être seul avec lui. Son père, craignant de voir son fils chéri lutter contre des animaux sauvages songea à le retenir, et la puissance de Priam le retint en effet. Mais son esprit ne put pas se le persuader ; car qui aurait pu ainsi renoncer à Euphorbe ? Or, une hydre affreuse le blessa en lui enfonçant son dard mortel dans la jambe. Le malheureux comprit alors qu’il fallait bien qu’il abandonnât Euphorbe, et c’était là ce qui l’affligeait le plus. Dans sa désolation il étendait ses mains sur ses genoux, j’eus pitié de lui, je lui ordonnai de mettre sur